Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Pour vous, les prochaines élections européennes se résument à une question : êtes-vous pour ou contre la souveraineté européenne ? N’est-ce pas un peu réducteur ?
Oui et non. Il y a bien sûr de nombreuses questions que se posent les électeurs, et la question de la souveraineté n’est certainement pas en haut de la liste, pas consciemment du moins. Mais lorsqu’il est question d’immigration, de défense, d’aide à l’Ukraine, de crise agricole ou d’inflation, peu importe la question, elles sont toutes liées à l’enjeu de la souveraineté. Le dernier Conseil européen qui s’est tenu à Bruxelles la semaine dernière était consacré à l’enjeu de la compétitivité du Continent. Là aussi, c’est un enjeu de souveraineté. Lorsque les États discutent d’un New Deal européen, ou des moyens pour financer l’aide à l’Ukraine, financer la réindustrialisation de l’Europe, pour contrer le protectionnisme chinois et américain, au cœur de tous ses débats, il y a la question de la souveraineté ou de l’autonomie stratégique. Finalement la question c’est : veut-on faire de l’Union européenne une véritable puissance économique et géopolitique capable de protéger les intérêts de ses États et de ses citoyens, et si oui, quels moyens est-ce qu’on met sur la table ?
Justement, revenons sur le concept d’autonomie stratégique. C’est un concept très français qui est parfois critiqué, ou mal compris par les autres pays européens.
La vision française de l'autonomie stratégique doit être comprise à travers son histoire. La France est une puissance nucléaire, qui dispose d'un siège permanent au Conseil de sécurité et qui consacre plus de 2 % de son PIB à la défense. Cette position découle de la crise du Canal de Suez en 1956 : en raison de l'absence de soutien de la part des États-Unis, la France voulait être en mesure de ne pas dépendre d'autres pays pour ses approvisionnements en armes. C'est pourquoi la France a quitté la structure de commandement militaire intégrée de l'OTAN dès 66 et a mis beaucoup de temps à la rejoindre à nouveau. Il faut voir l'autonomie stratégique française comme un moyen de parler d'égal à égal avec le pays le plus important de l'Alliance atlantique - les Etats-Unis - et non comme un moyen d'affaiblir l'OTAN. Donc oui c’est un concept très Français parce qu’il se réfère à notre histoire.
Mais aujourd'hui, quand le président Macron parle d'autonomie stratégique européenne, il y a beaucoup de malentendus. Pour certains pays européens, cela ressemble à un souhait de couper le cordon avec la protection américaine, de mettre fin à l'achat d'armes américaines, voire de quitter l'OTAN.
Cette interprétation de l'autonomie stratégique européenne est totalement erronée. Elle n'a rien à voir avec ça. Peut-être dans l'esprit de certains Français, mais certainement pas au niveau du gouvernement, des centres de recherche ou des think tanks. En France, lorsque nous parlons d'autonomie stratégique européenne, cela veut dire que nous, Européens, devons renforcer nos atouts dans des domaines stratégiques, la défense bien sûr, mais pas seulement : également à travers nos accords économiques et commerciaux, à travers nos approvisionnements en énergie, à travers l'industrie de la santé et la capacité à produire davantage de vaccins ou de médicaments dont les Européens ont besoin.
Ces questions, elles étaient au cœur du Conseil européen de la semaine dernière.
Oui, la question c’était de savoir comment financer nos ambitions ? Comment financer l'autonomie stratégique européenne ? Les dernières crises auxquelles nous avons été confrontés ont rendu le concept d'autonomie stratégique européenne beaucoup plus urgent. Cela ne signifie pas que l'Europe doive rechercher l'autosuffisance. Ce n'est ni souhaitable ni possible. Cela signifie que nous devons définir ce qui est stratégique pour nous à une époque où la concurrence économique est de plus en plus dure, où les règles du multilatéralisme sont battues en brèche et où la violence, les conflits et la guerre se rapprochent de plus en plus de nous.
Les électeurs ont-ils conscience de tous ses enjeux ? On voit que l’abstention risque encore d’être la grande gagnante de cette élection, suivi d’un parti politique dont les idées ne sont pas vraiment pro-européennes. Le choix de la souveraineté européenne, est-ce encore crédible aujourd’hui ?
Effectivement les derniers sondages sur les intentions de vote sont inquiétants. Les Français semblent se détourner de plus en plus de ces élections : selon le dernier sondage Ifop-Fiducial pour Le Figaro, LCI et Sud Radio, à peine 45 % pensent aller voter, et le chiffre est encore plus inquiétant pour les 18-24 ans puisqu'ils sont seulement 23 % ! Contrairement à bon nombre de pays Européens, les Français sont les seuls à être majoritairement pessimistes quant à l'avenir de l'UE : 52 % ! Enfin, pour couronner le tout, 65 % des Français pensent que les choses vont dans la mauvaise direction avec l'UE. Donc effectivement, la perception qu’on les Français de l’Union européenne n’est pas celle d’une Union protectrice qui a vocation à devenir davantage souveraine. Et cette opinion elle contraste énormément avec les autres pays en Europe. Par exemple, 83 % des Danois se disent optimistes quant à l’avenir de l’UE... le fossé est gigantesque.
Comment peut-on le combler ?
Les politiques et les médias ont un rôle essentiel à jouer. Depuis trop longtemps les politiques nationaux se défaussent de leurs responsabilités en blâmant « Bruxelles » de tous les maux. En ce moment le grand débat c’est sur les normes environnementales. Mais la plupart des normes, elles ne sont pas européennes mais nationales ! La France joue les premières de la classe en ajoutant des normes aux normes, en surtransposant systématiquement les directives européennes. Mais ça, personne ne l’assume donc ça entretient l’idée que Bruxelles régente tout. Et puis les médias ont un vrai devoir d’information. Sous prétexte que la campagne n’intéresse pas les Français, ils n’en parlent quasiment pas. Mais c’est un cercle vicieux : comment voulez-vous que les gens commencent à s’y intéresser s’ils n’en entendent jamais parler, ou alors que négativement ? Il y a une responsabilité collective à assumer aujourd’hui.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.