Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, Quentin Dickinson, vous souhaitez nous faire découvrir un à-côté discret de la guerre en Ukraine…
Chacun connaît l’enseigne LUKOIL, qui est celle de près de 2.500 stations-services dans une vingtaine de pays, principalement européens. Présents en Europe occidentale depuis les années 1960, ces points de vente se sont précédemment appelés SECA, puis JET.
En revanche, tout le monde ne sait pas nécessairement que LUKOIL est un géant pétrolier russe, dont les activités servent directement les forces militaires russes dans leur guerre d’agression contre l’Ukraine ; accessoirement - si l’on peut dire – LUKOIL, par ses ventes d’hydrocarbures à l’exportation, contribue aussi à financer la machine de guerre du Kremlin.
Et donc, logiquement, LUKOIL est directement visée par les sanctions économiques internationales imposées à la Russie.
Faut-il comprendre que toutes les stations-services LUKOIL sont désormais fermées ?...
Ce serait trop simple. C’est que la situation varie d’un pays européen à l’autre, et la présence de LUKOIL est parfois dominante, parfois marginale.
Ainsi, avant-hier, la filiale de LUKOIL en Finlande, TEBOIL, annonçait la fermeture imminente de toutes ses activités dans ce pays, dès l’épuisement des stocks. TEBOIL gérait jusqu’ici 430 stations-services, c’est-à-dire environ 20 % du total de celles-ci sur l’ensemble du territoire finlandais.
TEBOIL représente 1.200 emplois, auxquels il faut rajouter les 180 salariés de l’usine de lubrifiants de LUKOIL dans le sud du pays. Toutefois, en Finlande, TEBOIL ne vend pas le moindre litre de carburant russe, car la marque se fournit exclusivement auprès d’une raffinerie située sur place, propriété du groupe NESTE, dont l’État finlandais est l’actionnaire principal.
On comprend en effet le problème pour HELSINKI. Avez- vous détecté d’autres situations aussi complexes ?...
Oui, à l’autre extrémité de l’Union européenne, en Bulgarie, où LUKOIL dispose d’un quasi-monopole – ou, plus précisément, disposait, étant donné que le gouvernement bulgare vient de mettre sous tutelle publique l’ensemble des stations-services, mais aussi des dépôts pétroliers, des unités desservant les aéroports en kérosène, et surtout la raffinerie NEFTOCHIM – la plus grande des Balkans – située à BOURGAS, au bord de la Mer noire.
On ajoutera que LUKOIL possède une autre raffinerie dans l’UE, c’est le complexe PETROTEL, à PLOIEŞTI en Roumanie. Enfin, LUKOIL a une participation de 45 % dans la raffinerie de Zélande, près de FLESSINGUE, aux Pays-Bas.
Les suites juridiques de cette quasi-nationalisation seront intéressantes à observer, car, dans un tout autre dossier, elles rappellent les hésitations des pays de l’Union européenne à confisquer les avoirs financiers russes, actuellement gelés dans l’UE.
WASHINGTON, de son côté, ne connaît pas ce genre de scrupule : ayant, le mois dernier, mis à l’index les deux majors de l’industrie pétrolière russe : LUKOIL et ROSNEFT, les Américains donnent désormais aux Bulgares jusqu’au 29 avril 2026 pour vendre les activités de LUKOIL chez eux.
La vente forcée, des actifs de LUKOIL hors de Russie, c’est la solution retenue également par les Européens, donc ?...
C’est cela. Et un repreneur s’est spontanément, ou presque, présenté : il s’agit de la multinationale GUNVOR, spécialiste des transactions pétrolières à grande échelle, qui mettait 22 milliards de Dollars sur la table, offre acceptée par LUKOIL.
L’affaire était faite, tout le monde était soulagé, problème résolu, on allait pouvoir passer à autre chose.
Mais cette fine mécanique s’est brutalement enrayée.
Pour quelle raison ?...
GUNVOR est une société de droit chypriote, dont le quartier-général est installé à GENÈVE. Or, les Américains ont découvert que GUNVOR avait été créée, il y a plus de vingt-cinq ans, par deux associés : un Suédois, Torbjörn TÖRNQVIST, et un Finlandais d’origine soviétique, Guennadi TIMTCHENKO. Aux yeux des Américains, ce dernier détail est forcément suspect – même si le Suédois a depuis longtemps racheté les parts du Russe.
Donald TRUMP déclare alors que GUNVOR n’est qu’une marionnette au service du Kremlin et torpille l’accord. Exit GUNVOR.
Donc, on retourne à la case départ ?...
En effet. Et, cette fois-ci, les candidats se pressent au portillon – il est vrai que, même si les stations-services ne rapportent pas grand’chose, les raffineries constituent des morceaux de choix. Sans que la liste en soit exhaustive, les prétendants s’appellent actuellement EXXONMOBIL, CHEVRON, ABU DHABI NATIONAL OIL, voire des fonds d’investissements, comme l’Américain CARLYLE.
Pilotée par la Maison-Blanche et par le Département du Trésor des États-Unis, l’opération aboutira fatalement à une mainmise américaine sur une composante non-négligeable de l’industrie pétrolière en Europe – une opération dont on ne peut que constater que les pétroliers européens, eux, sont curieusement absents.
Et, pendant ce temps, les enseignes LUKOIL continuent à flotter au vent, en attendant que le repreneur prenne la peine de venir les démonter.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.