Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Nous parlons aujourd’hui du secteur financier. Avec tous les produits financiers bas-carbone ou responsables que l’on voit apparaître, est-ce qu’on peut dire que la finance s’est mise au vert ?
Il y a depuis longtemps de belles initiatives qui existent, comme les PRI, les Principes pour l’Investissement Responsable, ou l’initiative Climate Action 100, lancée par des investisseurs pour convaincre les 100 entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre à diminuer leurs émissions. Ces initiatives sont louables mais jusqu’à maintenant elles étaient encore insuffisantes.
Seulement depuis deux ans, on voit que le mouvement de l’investissement responsable est en plein essor. De plus en plus d’acteurs financiers communiquent activement sur leur prise de conscience du changement climatique, et proposent des produits d’investissement ou d’épargne qui sont dits verts, ou responsables.
Alors les motivations pour cet engagement peuvent être très variées : est-ce que c’est une recherche de profit en plus ? un effet de mode ? un engagement altruiste véritable ? Ce qui est sûr, c’est que la finance verte accélère, même s’il reste encore beaucoup de chemin à faire : seuls 15% des investisseurs se fixent aujourd’hui des objectifs liés au climat.
Alors qu’est-ce qui a déclenché cet engouement pour le climat, qui n’est quand même pas un sujet récent ?
Il y a depuis deux ans une sorte d’alignement des planètes qui exerce une pression bas-carbone sur les investisseurs et qui les fait bouger. D’une part, les gens commencent à comprendre que le climat est un problème central, en particulier la jeune génération qui a le souci d’épargner de manière responsable, et les personnes altruistes qui pensent aux générations futures : autrement dit il faut que leurs investissements fassent du sens.
D’autre part, depuis les accords de Paris en 2015, la régulation européenne est de plus en plus stricte, à l’égard des sociétés très polluantes, bien sûr, mais aussi pour les financiers, qui doivent de plus en plus révéler l’impact environnemental de leurs investissements. C’est cette demande croissante des épargnants, et la pression de la régulation qui pousse le secteur financier à agir.
Et non pas le réchauffement climatique lui-même ?
Cette motivation-là est plus difficile à sentir dans le cadre professionnel.
Les professionnels de l’investissement comprennent qu’un réchauffement de 3-4°C va être une catastrophe pour l’économie, donc pour la finance. Le problème c’est que pour la plupart des décideurs financiers, ça n’impactera que les performances des successeurs de leurs successeurs à leurs postes professionnels. Donc tout effort aujourd’hui serait purement altruiste, parce qu’il ne permet pas de gagner de rendement.
Alors justement c’est quoi l’impact immédiat du réchauffement climatique ?
Pour la finance c’est un risque financier qui vient de la pression de la régulation et des consommateurs. C’est la lutte contre le changement climatique, la transition bas-carbone qui crée des risques, des coûts mais aussi des opportunités pour les entreprises.
La finance fournit des capitaux à l’ensemble des entreprises, et donc elle est concernée aussi. Par exemple, la taxe carbone va peser de plus en plus sur les entreprises polluantes, surtout si elles ne font aucun effort pour diminuer leurs émissions. Si une entreprise a plus de taxes à payer, cela diminue son profit, et la rend donc moins rentable, et moins intéressante à financer pour un investisseur.
Mais la finance verte c’est aussi un sujet commercial : si la demande explose pour des produits financiers verts, plus responsables, les professionnels de la finance qui sont à la traîne et ne les développent pas vont perdre des clients, donc des profits. Donc en vente de produits d’épargne, comme en investissement, le carbone n’est plus une question extra-financière, c’est une question financière à part entière qu’il faut désormais prendre en compte.
Est-ce qu’on peut dire que la finance se met au vert parce que cela devient rentable ?
On peut dire que le point de rupture a eu lieu lorsque le secteur financier a enfin compris que dans un monde bas-carbone, le vert devient de l’or ! Même si ça peut paraître très égoïste et profiteur, il faut se féliciter qu’altruisme et profitabilité convergent, parce que cela donne un coup de boost à la transition. Des financiers plus nombreux rejoignent les initiatives comme les PRI, recherchent les labels responsables pour leurs produits financiers, et les régulateurs, comme l’AMF (Autorité des Marchés Financiers), veillent à ce que ce ne soit pas du greenwashing.
Donc oui la finance se met au vert ; et qu’elles qu’en soient les raisons, tant mieux !
crédits photo: Nattanan Kanchanaprat