Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Il y a quelques semaines Christine Lagarde, la présidente de la Banque Centrale européenne (la BCE) a affirmé vouloir intégrer les défis climatiques dans la régulation et la relance économique. Avant de savoir ce que cela implique, peut-être pouvez-vous nous rappeler le rôle d’une banque centrale ?
Une banque centrale c’est une institution qui crée la monnaie et est responsable de la politique monétaire d’un Etat ou d’une zone monétaire. Elle a en plus un rôle de régulation.
Je m’explique : si une banque commerciale vous prête de l’argent pour acheter une voiture, elle va donner sa créance sur vous en garantie à la banque centrale, qui va lui prêter une partie des fonds que la banque va vous donner pour payer l'auto. Ainsi, elle crée la monnaie qui circule. Comme la banque centrale crée de la monnaie, elle en contrôle le prix, ce qu’on appelle les taux d’intérêt, et la quantité. Et puis comme les banques commerciales sont des « distributeurs de monnaie », elle les régule et les supervise pour s’assurer de leur bonne santé et éviter les crises financières.
Mais du coup comment peut-elle influer pour limiter le changement climatique ?
Justement dans son rôle de régulateur et de superviseur des risques que prennent les banques. Le changement climatique engendre deux types de risques. D’abord les risques physiques, des catastrophes naturelles qui augmentent en fréquence avec des impacts de plus en plus forts sur l’économie : les cyclones, les inondations, les canicules qui peuvent être catastrophiques pour une entreprise à qui une banque a fait un prêt. Ensuite, il y a les risques de transition : les politiques bas-carbone commencent à se développer, elles vont coûter à certaines entreprises, trop « brunes » ou même carrément les pousser à la faillite, il suffit de regarder le charbon en Europe par exemple. Les banques centrales peuvent modifier la régulation pour obliger les banques commerciales et les Etats à mieux prendre en compte et moins s’exposer à ces deux types de risques.
Concrètement quelles mesures peut prendre une banque centrale ?
Deux exemples : en face d’un risque, la banque centrale demande aux banques des fonds propres, du capital, par sécurité. Si les financements d'activités non durables ont un risque particulier, la banque centrale demandera plus de capital, donc ces financements seront pénalisés. Inversement, la banque centrale, quand elle prend en garantie des financements « verts », peut les préférer, prendre une marge de sécurité plus faible, donc les favoriser, par exemple si la voiture est électrique. Ces deux moyens sont très puissants.
Et prêter directement, non ?
Oui, en achetant des obligations vertes dans son programme d’achat de dette actuellement en cours, et elle le fait, un peu. La BCE a racheté de la dette publique à hauteur de 3800 milliards d’euros pour éviter une crise financière et économique liée à la pandémie. Elle pourrait dorénavant privilégier les dettes qui aident à financer la transition énergétique, c'est ce que demandent de nombreux membres de son directoire, comme le gouverneur de la Banque de France. Mais ce programme est un événement extraordinaire, même s’il dure !
Il y a aussi le fonds de retraite de ses salariés, mais ses moyens sont marginaux. Elle a quand même constitué une liste d’entreprises dans lesquelles elle refuse d’investir l’argent du fonds de pension parce qu’elles sont trop polluantes.
Mais l’essentiel, c’est ce dont je parlais plus tôt, les moyens des banques centrales à faire bouger tout le secteur bancaire. Et la BCE a effectivement entrepris un chantier de révision des objectifs et des instruments de sa politique monétaire cette année pour mieux intégrer le climat.
Y a-t-il d’autres banques centrales très investies dans une politique de régulation climatique ?
Oui tout à fait : je pense notamment à la banque d'Angleterre gouvernée par Mark Carney jusqu’en 2020, qui avait lors d’un discours en 2015 pointé du doigt l’aveuglement du monde financier face au changement climatique. Elle a créé des tests de résistance pour voir l’impact du changement climatique et des politiques de transition sur le système financier britannique. Par exemple, combien une banque perd-elle d’argent si le prix du carbone est multiplié par 5 d’ici 2 ans ? Ou combien perd la banque si un cyclone détruit les usines d’une entreprise qu’elle finance ?
La BCE a pris exemple sur la banque d’Angleterre, puisqu’elle va à son tour exiger des banques commerciales beaucoup plus de transparence quant à leur exposition au risque climatique, en les obligeant par exemple à dévoiler leur financement dans les secteurs fossiles. Toutes ces mesures vont permettre d’anticiper les risques et de mieux s’en protéger.
Interview réalisée par Laurence Aubron
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