Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Le 26 février dernier, la justice française a ordonné le démantèlement d’un parc éolien dans l’Hérault. Et ce sont des associations écologistes qui ont œuvré pour que ce démantèlement ait lieu ! C’est un peu paradoxal, non ?
Oui en effet cela paraît surprenant ! Cela faisait 17 ans que ces éoliennes étaient exploitées. La cause principale : le site d’exploitation est situé au cœur de la zone d’habitation de vautours et d’aigles royaux, des espèces menacées qui se font tuer en percutant les éoliennes. La protection de la biodiversité est donc la raison principale de cette décision de justice.
Alors justement, les éoliennes auraient un impact négatif sur la biodiversité ?
Oui, selon une étude publiée en 2017. Les éoliennes construites dans des couloirs migratoires et des zones protégées entraîneraient une létalité encore plus importante puisque les oiseaux meurent en percutant les pales des éoliennes. Les chauve-souris sont aussi affectées par changement brutal de pression à proximité des éoliennes qui affecte leur système respiratoire et les tue. Cependant, il faut relativiser : en matière de biodiversité il n’y a pas encore assez de données, en particulier sur l’impact d’autres activités humaines et de la prédation naturelle. On se focalise sur les éoliennes, mais on a tendance à oublier les collisions avec les immeubles, les voitures… Sans parler de l’impact des centrales à charbon et des centrales nucléaires !
Est-ce qu’il y a d’autres impacts négatifs ?
On reproche aussi au secteur éolien d’avoir une empreinte carbone non négligeable. La construction et l’installation des éoliennes demande une dépense énergétique importante. Il faut un socle de béton de 1500 tonnes par éolienne et entre 20 et 40 tonnes d’acier. Or la sidérurgie et la cimenterie sont encore très dépendantes du charbon à coke. Autre facteur pointé du doigt : il faut beaucoup de cuivre et de métaux rares pour construire une éolienne, des matières dont l’extraction est difficile, énergivore et dont la production est assurée à 85% par la Chine pour les métaux rares. Cela pose des problèmes environnementaux et soulève la question de la dépendance énergétique.
Mais comparée à d’autres sources d’énergies, l’éolien doit quand même avoir un impact environnemental moindre, sinon on ne les construirait pas !
Pour cela il faut faire une analyse du cycle de vie de différentes sources d’énergie : on calcule l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre émises directement et indirectement par une éolienne, de sa construction, à son installation, à son exploitation, jusqu’à son démantèlement et à sa destruction. Et là le verdict est sans appel : une étude de l’ADEME réalisée en 2015 montre qu’une éolienne va émettre en moyenne 12,7 gCO2 pour produire 1 kWh d’électricité. En comparaison, l’électricité produite avec du gaz naturel est 57 fois plus émettrice, et le charbon 83 fois plus émettrice ! Donc l’impact environnemental n’a rien à voir ! En revanche le nucléaire et l’hydraulique émettent en moyenne 2 fois moins qu’une éolienne : 6 gCO2 pour 1 kWh d’électricité produite.
On leur reproche aussi de détruire les paysages et de faire beaucoup de bruit…
En effet, mais là on entre davantage dans les choix individuels. Les nuisances sonores des éoliennes existent, c’est un peu le même problème que le réseau autoroutier, qui ne peut être bâti sans abîmer des paysages et déranger des riverains. Mais il faut garder en tête que les éoliennes servent un intérêt général, et il est absolument nécessaire d’éviter le réchauffement climatique dont les dégâts seraient beaucoup plus graves. Rappelons aussi qu’aujourd’hui, la régulation impose des contraintes beaucoup plus fortes sur l’emplacement des éoliennes, en prenant en compte la biodiversité et la protection des paysages.
Est-ce que les investisseurs peuvent jouer un rôle pour limiter l’impact environnemental des éoliennes ?
Les investisseurs européens sont soumis à une régulation plus accrue : ils vont encourager les études d’impact sur la biodiversité car ils doivent être transparents sur l’impact de leurs investissements. Ils peuvent aussi être sélectifs dans leurs choix d’investissement, en privilégiant les entreprises qui recyclent leurs matériaux, et surtout en encourageant le développement de l’éolien en mer. Cela permettrait de réduire significativement les problèmes de biodiversité et de paysages, de produire davantage d’électricité parce que le vent y est plus soutenu et plus régulier. Il faut vraiment l’encourager car la France a une vraie carte à jouer avec la plus grande Zone Economique Exclusive au monde !
Interview réalisée par Laurence Aubron
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