Jeanne Gohier, vous nous parlez aujourd’hui de la science du climat et de ses origines. Le réchauffement climatique, ses causes, ses impacts, ce sont des découvertes relativement récentes n’est-ce pas ?
Oui ce sont des sujets abordés depuis finalement assez peu de temps en science. Tout cela s’est fait très graduellement, il a fallu énormément de temps pour arriver à un consensus scientifique sur le fait que les activités humaines sont à l’origine d’un réchauffement climatique, parce qu’au début des travaux sur le climat, cela n’était pas considéré comme un enjeu pour l’humanité. Encore aujourd’hui, des personnalités politiques et une partie du public continuent à mettre en doute ce phénomène et surtout que l’homme y soit à l’origine.
Alors pouvez-vous nous faire un petit résumé historique de la science du climat ?
Si je devais donner un premier nom et une première date, ce serait Joseph Fourier, un mathématicien français, professeur à l’école normale supérieure et à l’école polytechnique. C’est le premier à avoir émis l’hypothèse d’un effet de serre autour de la terre, en 1824 : il a compris que l’atmosphère terrestre réchauffait la planète, c’est-à-dire que les gaz présents dans l’atmosphère limitaient les pertes de chaleur, et maintenaient une température plus élevée que s’il n’y avait pas d’atmosphère autour de la Terre.
Est-ce qu’il avait identifié les gaz qui réchauffaient l’atmosphère ?
Non, il a fallu 30 années de plus pour comprendre que la vapeur d’eau, le dioxyde de carbone et le méthane étaient des gaz à effet de serre. On doit cela à John Tyndall en 1859, un physicien irlandais. Il s’est intéressé à l’existence de périodes glaciaires et a montré que l’acide carbonique, un dérivé chimique du CO2, pouvait absorber de grandes quantités de chaleur. Il en est arrivé à la conclusion suivante : si les proportions de CO2, de vapeur d’eau et de méthane changent dans l’atmosphère, cela peut avoir un impact sur le climat.
Quand est-ce que les scientifiques ont commencé à émettre l’hypothèse d’un réchauffement climatique à partir des émissions d’origine humaine ?
Cela s’est fait bien plus tard. A la toute fin du 19ème siècle, le suédois Arrhenius, un chimiste qui a eu le prix Nobel en 1903, a émis l’hypothèse qu’une augmentation en concentration de CO2 et en vapeur d’eau dans l’atmosphère étaient à l’origine d’un réchauffement de l’atmosphère. Il avait même estimé que si la concentration en CO2 doublait dans l’atmosphère, cela causerait un réchauffement de 5°C, ce qui est une surestimation par rapport aux calculs actuels. En 1938, Guy Callendar a répertorié un ensemble de mesures de l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère et de son élévation de température, en établissant un lien clair entre les deux. Cependant, le vrai déclic a eu lieu grâce à l’américain Keeling : en 1960, il met en cause le rôle des énergies fossiles dans l’augmentation de la concentration en CO2, ce qui provoque un réchauffement climatique. Il soutient sa théorie par des mesures de CO2 qui ne peuvent pas être expliquées par de la variabilité naturelle.
Donc tout cela a pris plus de 100 ans ! Pourtant dans les années 1960, au beau milieu des 30 glorieuses, personne ne se souciait de l’effet des activités humaines sur le réchauffement climatique !
Les travaux de Keeling ont commencé à alerter la communauté scientifique, mais il a fallu attendre 1979 et la parution du rapport Charney pour alerter une partie du grand public. Commandé par la Maison Blanche, ce rapport établit qu’un doublement de la concentration en CO2 dans l’atmosphère engendre un réchauffement d’environ 3°C, une estimation encore valable aujourd’hui. Depuis, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat a été créé en 1988, et à chaque publication des rapports, l’influence humaine sur le réchauffement climatique est de moins en moins discutée. D’ailleurs le dernier rapport, publié en partie en 2021, explique que la communauté scientifique est unanime sur l’origine anthropique du réchauffement climatique.
Donc le consensus scientifique n’existe que depuis peu, pourquoi un tel délai ?
Plusieurs facteurs expliquent ce manque de consensus. D’une part, et c’est d’ailleurs nécessaire parce que la science du climat est expérimentale, il a fallu un travail critique pour préciser les estimations, affiner les modèles, vérifier les hypothèses.
Mais ça n’est pas la seule explication malheureusement. La question du climat est devenue très politique à partir des années 1980, le gouvernement Reagan a réduit les subventions publiques accordées à la science du climat. Par ailleurs, de puissants mouvements de lobby ont également semé le doute auprès du grand public sur l’impact des gaz à effet de serre et du réchauffement climatique, en reprenant exactement la même stratégie que les grandes industries du tabac.
De grandes entreprises pétrolières savaient que la combustion des énergies fossiles contribuait au réchauffement climatique, mais ont financé des campagnes de déni du réchauffement pendant des années. Encore aujourd’hui, des personnalités politiques et chefs d’état nient le réchauffement climatique, il faut donc vraiment encourager le public à en apprendre plus sur le climat et sur le réchauffement.
Jeanne Gohier au micro de Cécile Dauguet
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici