Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
C’était dans la presse il y a quelques jours : un projet de gazoduc qui relie la Russie à l’Allemagne est menacé, sur fond de tensions politiques entre la Russie et les Etats-Unis. Pourquoi l’Union européenne veut-elle importer plus de gaz, n’est-ce pas une énergie fossile ?
Ce projet a été très critiqué par les mouvements écologistes européens car en effet, on approvisionne l’Europe avec une énergie fossile tout en prônant la transition bas-carbone. Cela ne semble pas très cohérent ! En réalité le problème est plus complexe. D’abord, l’Union Européenne n’est pas autosuffisante en énergie ; elle doit par exemple importer 60% du gaz qu’elle consomme. En outre, même si le gaz est une énergie polluante, il permet d’éviter de consommer du charbon et du pétrole, qui émettent davantage de CO2.
Concrètement quel est l’impact environnemental du gaz ? Par rapport au pétrole ou au charbon par exemple ?
Le gaz naturel émet moins que le pétrole ou le charbon. Pour une même quantité d’énergie utilisée, le gaz libère 30% de gaz à effet de serre en moins par rapport au pétrole, et 40% de moins que le charbon. Mais ce n’est pas une solution durable, parce que c’est une énergie fossile, donc non renouvelable, avec deux inconvénients. D’abord, son transport est complexe et coûteux, il faut soit construire d’immenses gazoducs, généralement depuis la Russie, soit liquéfier le gaz. Second problème : la dépendance énergétique de l’Union européenne notamment vis-à-vis de la Russie. En cas de tensions géopolitiques, l’Union européenne peut se retrouver en mauvaise posture.
Mais alors pourquoi la Commission européenne le considère quand même dans son plan de transition bas-carbone ?
Le gaz est considéré comme une énergie de transition car il se substitue partiellement au charbon pour le chauffage et la production d’électricité, et au pétrole pour les transports. On sait aujourd’hui faire rouler des voitures, des bus et des camions avec du gaz. Et on ne pourra pas utiliser de l’électrique partout, aujourd’hui l’électricité ne représente que 25% de notre consommation finale d’énergie en France. Le plus important reste de diminuer notre consommation d’énergie : un citoyen français va devoir la diviser par 6 en moyenne d’ici 2050.
Si l’on revient sur l’électricité, le gaz n’est-il pas aussi en compétition avec d’autres sources d’énergie, comme le nucléaire par exemple ?
La France est un cas particulier, où nous sommes plutôt des champions du nucléaire. Mais ce n’est pas vrai pour nos voisins européens ! Par exemple, l’Italie produit 40% de son électricité avec du gaz. C’est une source d’énergie vitale pour la transition bas-carbone, dans les pays européens qui ont fait le choix de ne pas développer la filière nucléaire pour la production d’électricité.
Pour revenir sur la neutralité carbone, comment l’atteindre si on utilise du gaz naturel qui est polluant ?
A court terme, le gaz naturel doit venir remplacer le charbon dans la production d’électricité, ce qui va diminuer l’empreinte carbone de manière conséquente. A plus long terme, on envisage de remplacer une partie du gaz naturel par du biogaz, que l’on obtient en décomposant des déchets organiques dans un milieu sans oxygène. On n’extrait pas le biogaz du sol, et on diminue les émissions de 90%. L’autre grand avantage du biogaz, c’est qu’on peut le produire localement, et donc garantir une meilleure indépendance énergétique. Malheureusement, le biogaz ne pourra pas remplacer tout le gaz naturel !
Pour parler maintenant des entreprises européennes, quels choix ont été faits?
L’Union considère le gaz naturel comme une énergie de transition et prévoit de développer des projets gaziers importants dans les années à venir. La production de biogaz reste faible et peu rentable parce qu’il n’y a pas encore de système de collecte de biodéchets efficace, mais la filière devrait se développer. Engie a par exemple développé la première plateforme de biogaz renouvelable l’année dernière. De son côté, Total a annoncé qu’elle visait de maintenir 40% de gaz dans son mix de production en 2050, dont la moitié serait du gaz renouvelable, tout en diminuant de 2/3 sa production de pétrole. Donc on voit bien que le gaz reste stratégique.
Image : kobitriki
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