Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Elle nous parle aujourd'hui du captage et du stockage du carbone.
Il paraît que les grandes entreprises pétrolières veulent capturer le dioxyde de carbone dans l’air et l’enfouir dans des réservoirs souterrains profonds. Cela semble très ambitieux !
Oui en effet cela semble vertigineux ! Ce procédé s’appelle le captage et le stockage du carbone, ou CSC. L’idée elle-même est simple : capter le dioxyde de carbone lâché par les activités humaines dans l’atmosphère, pour diminuer l’effet de serre et le réchauffement. Après le captage, on transporte puis on stocke le dioxyde de carbone sous terre, dans des anciens réservoirs de pétrole et de gaz, ou bien dans des réserves d’eau salée, des aquifères salins profonds. Le CSC est un procédé dont les principes techniques sont établis, mais qui coûte encore très cher aujourd’hui.Il y a en tout cas énormément de recherches en cours pour le développer.
Alors justement, pourquoi est-ce qu’on s’y intéresse autant?
Parce que si l’on veut respecter les Accords de Paris, le captage et le stockage du carbone est indispensable. Dans les prochaines années, malgré nos efforts de réduction, nous continuerons d’utiliser des énergies fossiles et donc d’émettre des gaz à effet de serre. Pour limiter la casse, il faut capter et stocker une partie du CO2 émis. Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat, le GIEC, recommande ainsi d’être capable de capter et stocker au minimum 10 milliards de tonnes de CO2 par an en 2050. Et on est loin du compte : aujourd’hui on ne capte que 40 millions de tonnes de CO2 par an. Il faut donc multiplier les capacités de stockage par 250 si l’on veut arriver à limiter le réchauffement bien en dessous de à 1,5°C !
En ce moment, qui développe les projets de CSC ?
Ce sont les compagnies pétrolières, parce qu’elles connaissent les techniques de captage et de stockage du CO2 depuis les années 1930 pour l’extraction du pétrole. Le CO2 est injecté dans les gisements pétroliers pour créer de la pression et faire remonter le pétrole.
Tout l’enjeu maintenant est de développer le CSC pour d’autres activités polluantes : la production d’électricité par du charbon, les cimenteries, l’utilisation de biomasse comme source d’énergie.
Très récemment Total, Shell et Equinor ont par exemple annoncé la mise en place de stockage de CO2 sous la Mer du Nord. L’objectif est de stocker 1,5 millions de tonnes de CO2 par an à 2600 mètres de profondeur.
Il semble y avoir des freins, sinon cela ferait longtemps qu’on aurait vraiment développé cette technique ?
Oui, et les freins sont surtout économiques. Aujourd’hui cela coûte moins cher pour une entreprise pétrolière d’aller acheter des crédits sur le marché du carbone que de développer un projet CSC. C’est parce que le prix du carbone sur le marché n’est pas assez élevé, et qu’il n’y a pas de taxes suffisamment élevées sur les émissions de CO2. Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer : ils doivent augmenter le prix du carbone pour les entreprises, soit en imposant des taxes, soit en faisant monter le prix sur les marchés du carbone pour rentabiliser le CSC.
Il y a aussi un autre frein : le coût du transport du dioxyde de carbone. Il faut déployer un réseau important et coûteux pour transporter le CO2 du lieu de son captage à celui de son stockage, qui peut être très éloigné de ce dernier. Le coût peut diminuer si on multiplie les projets de CSC pour faire des économies d’échelle.
Si on réussit à développer le stockage du CO2 de manière sécurisée, cela semble être la solution miracle !
Alors attention ! On ne va pas réussir à capturer toutes nos émissions de gaz à effet de serre, le chantier est beaucoup trop grand, coûte trop cher et prendrait trop de temps. Donc le CSC n’est pas LA solution au problème du réchauffement climatique, même si c’est l’une des solutions qui doivent être déployées. D’ailleurs les entreprises pétrolières ont tendance à trop s’appuyer sur ce procédé pour justifier leur ambition de neutralité carbone, même si elles cherchent aussi à diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre.
Un dernier mot sur l’Union européenne, est-ce qu’elle prévoit de soutenir les projets de CSC ?
L’Union européenne n’a pas fixé d’objectif chiffré pour le CSC. Elle reconnait qu’il s’agit d’un pilier important pour limiter au maximum le réchauffement, mais en parle peu. La priorité reste de diminuer nos émissions. L’Union européenne a pourtant un rôle important à jouer : augmenter le prix du carbone sur le marché d’échange des émissions, pour que le CSC puisse mieux se développer.
Sources:
- International Energy Agency: The Role of CO2 Storage – Analysis - IEA
- Global CCS Institute : Remove-Carbon-Capture-and-Storage-6.pdf (globalccsinstitute.com)
- CCS Required in IPCC's Scenarios to Keep to 1.5 Degrees Celcius « (ccsknowledge.com)
- Grantham Institute : BECCS-deployment---a-reality-check.pdf (imperial.ac.uk)
crédits photo: Coco Zinva