Vous nous parlez aujourd’hui de bactéries qui seraient capables de nettoyer des sols pollués et dont les scientifiques sont en train de comprendre le fonctionnement biologique. Est-ce qu’on peut évoquer une innovation et pourquoi est-ce que la recherche étudie ces bactéries ?
il s’agirait d’une innovation qui répondrait à l’un des problèmes majeurs de la filière du nucléaire que nous évoquions récemment, à savoir les déchets. Disons tout de suite que cette recherche est embryonnaire et pas encore développée à l’échelle industrielle. À ce stade les scientifiques sont en train d’analyser les mécanismes par lesquels ces bactéries nettoieraient les déchets nucléaires.
De quoi parle-t-on exactement lorsqu’on évoque les déchets nucléaires ? C’est un gros sujet pour les producteurs d’électricité nucléaire ?
Les déchets nucléaires sont des déchets radioactifs, c’est-à-dire qu’ils contiennent de la radioactivité sans qu’on puisse les réutiliser ultérieurement. Il y a des déchets à vie courte, qui sont inactifs au bout de 300 ans, et des déchets à vie longue qui restent radioactifs pendant des milliers d’années. Pour rappel, une trop forte exposition à des radiations provoque des dégâts environnementaux et sanitaires importants. Le grand défi de l’industrie électronucléaire est qu’elle sait comment contenir les déchets nucléaires mais qu’elle ne sait pas les éliminer. Les bactéries pourraient apporter une solution supplémentaire pour les déchets à vie longue et à vie courte.
Alors comment les bactéries traitent les déchets nucléaires ?
L’équipe scientifique de l’université du Michigan, qui a travaillé sur cette famille de bactéries, que l’on appelle Geobacter, a identifié deux mécanismes par lesquels elles absorbent l’uranium radioactif. D’abord, les bactéries produisent des filaments de protéines qui créent des décharges électriques et leur donnent de l’énergie. Les bactéries se fixent ensuite à l’uranium qui se retrouve sous forme minérale et est rendu biologiquement inerte. Mais les bactéries ont aussi à leur surface des molécules qui absorbent l’uranium radioactif dans des vésicules. C’est vraiment le principe d’une éponge : les vésicules pleines d’uranium radioactif complètement contenu sont ensuite libérées par les bactéries, qui créent de nouvelles vésicules à leur surface. Les bactéries n’éliminent pas l’uranium radioactif mais elles l’absorbent dans un milieu pollué, ce qui permet de contenir la radioactivité.
C’est une solution remarquable, mais pas vraiment différente des méthodes utilisées aujourd’hui, parce qu’on n’élimine pas vraiment l’uranium ! Quel serait l’avantage d’utiliser des bactéries ?
Ce serait une innovation très intéressante parce qu’elle est plus respectueuse de l’environnement : aujourd’hui les déchets à longue durée de vie sont enfouis à 500 m en-dessous du sol, ce qui implique des problèmes d’érosion et de destruction de la biodiversité. Utiliser ces bactéries pour dépolluer les milieux radioactifs serait donc une innovation biomimétique intéressante. Le biomimétisme c’est l’innovation scientifique et technologique qui s’inspire de la nature et du vivant. Et on pourrait imaginer de créer des vésicules artificielles qui seraient capables d’absorber des métaux rares dans les composants électroniques, qui sont souvent très difficiles à récupérer et à recycler, ou dans des cours d’eau pollués. Les déchets radioactifs seraient dans un milieu complètement imperméable, les vésicules produites par les bactéries, ce qui faciliterait leur stockage.
Est-ce que cela pourrait apporter une solution au rejet assez fort de l’énergie nucléaire par les mouvements écologistes ?
Cela pourrait être une partie de la solution, parce que le rejet de déchets radioactifs est l’un des enjeux majeurs pour le secteur : l’impossibilité de dépolluer les déchets nucléaires est souvent pointé du doigt par certains mouvements écologistes. Toutefois, il y a beaucoup d’autres défis à résoudre en peu de temps, notamment parce que les questions climatiques sont urgentes et qu’il faut beaucoup de temps pour déployer un parc nucléaire suffisant. Mais le traitement des déchets nucléaires par une solution de biomimétisme serait une belle avancée !
Jeanne Gohier au micro de Laurent Pététin
Photo : Kilian Karger
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
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