L'Europe, le monde, la paix

Un ambassadeur pour la paix

Un ambassadeur pour la paix

Toutes les semaines, la chronique « L’Europe, le monde, la paix » donne la voix sur euradio à l’un des membres du collectif de chercheurs réunis dans UNIPAIX, le Centre d’Excellence Jean Monnet basé à Nantes.


Vous souhaitez évoquer aujourd’hui l’histoire peu connue d’un ambassadeur sportif pour la paix.

Il s’agit d’un sportif allemand, né il y a 100 ans exactement, le 22 octobre 1923, footballeur de profession, gardien de but pour être précis, qui n’a jamais porté le maillot de l’équipe nationale mais dont on se souvient comme un véritable symbole de la paix. Son nom est Bert Trautmann, et son histoire mérite d’être racontée.

Bert Trautmann ? J’avoue ne jamais avoir entendu parler de lui.

C’est normal. Dans le processus de réconciliation engagée avec l’Allemagne après la Seconde guerre mondiale, on s’est focalisé naturellement, et à juste titre, sur le rapprochement franco-allemand. Bert Trautmann, lui, a été – un peu malgré lui, sans l’avoir cherché – un personnage emblématique de la réconciliation entre Allemands et Anglais.

Né en 1923, ça veut dire qu’il avait 10 ans lors de l’arrivée des Nazis au pouvoir, et 16 ans au début de la guerre.

Exact. C’est la génération enrôlée dans la « jeunesse hitlérienne », idéologisée dans un système scolaire sous contrôle total du pouvoir, et, sans surprise, mentalement préparée pour saluer l’arrivée de la guerre avec enthousiasme.

Contrairement aux étudiants de la Rose Blanche, Bert Trautmann n’a aucun doute sur le bien-fondé du régime. A 17 ans, il se porte volontaire à l’armée de l’air, puis il combat en tant que parachutiste en Russie, en Ukraine, et en Normandie. Il est fait prisonnier de guerre en 1944 et déporté en Angleterre.

Et c’est là que tout change.

Tout. D’abord, il n’en revient pas de la décence avec laquelle les Anglais traitent les prisonniers. Ce qu’il a raconté des années, soit dit en passant, recouvre en tous points l’expérience de mon propre père, né en 1920, et comme lui prisonnier en Angleterre jusqu’en 1948.

Cela lui ouvre les yeux sur son lavage de cerveau. Il apprend la vérité sur les camps de concentration, découvre les valeurs d’une démocratie libérale, se débarrasse d’un antisémitisme ancré en lui depuis l’école.

Et il joue au foot !

Evidemment ! Contrairement à mon père, il décide de rester. Ils étaient 20 000 à faire ce choix. Il travaille dans une ferme dans le Lancashire et s’avère drôlement doué comme gardien de but du club local. Au point que Manchester City s’intéresse à lui et le recrute en 1949.

Inutile de vous dire qu’un ancien soldat de la Luftwaffe, qui avait bombardé tant de villes anglaises, n’est pas forcément le bienvenu partout et on le lui fait vite comprendre. Il faut l’intervention du Rabbi local – franchement, ça ne s’invente pas – pour calmer les esprits. Et le capitaine de l’équipe lui tend finalement la main, en lui disant « il n’y a pas de guerre dans ce vestiaire ».

Et comment Bert Trautmann est-il devenu un symbole de la réconciliation ?

En ne pas cherchant à l’être. En étant simplement lui-même : un mec modeste et intelligent, reconnaissant envers son pays d’adoption, et un footballeur d’exception. En 15 ans, il a fait 545 matches pour Manchester City, le plus célèbre étant la finale de la Coupe en 1956, à la fin de laquelle on s’aperçoit qu’il a terminé la rencontre avec cinq vertèbres cervicales brisées. Peu étonnant qu’il soit une légende à Manchester, et que le stade du club expose fièrement une sculpture de leur gardien héroïque en pleine action. Plus tard, Bert Trautmann a été décoré du « Ordre de l’Empire Britannique », pas mal pour un ancien prisonnier de guerre.

Quelle histoire !

Une belle histoire, c’est certain, mais qui montre aussi les limites de ces ambassadeurs du sport, qui suscitent la bienveillance au-delà de leurs pays d’origine. C’est surtout au moment où on cherche à se rapprocher prudemment qu’ils peuvent jouer un rôle formidable. Mais quand les armes parlent, c’est mission impossible. Un grand sportif qui chercherait aujourd’hui à faire de la médiation entre l’Ukraine et la Russie, entre l’Arménie et l’Azerbaidjan, ou entre Israël et la Palestine, serait voué à l’échec

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.