Chaque semaine, Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management à Angers, nous ouvre son bloc-notes pour partager ses idées sur les questions d’actualité, en Europe et au-delà.
Aujourd’hui, un message d'il y a 80 ans, mais d'une grande actualité.
Pendant longtemps, à l’époque où j'avais encore un bureau individuel, j’avais une affiche au mur qui réclamait « Le courage d’agir ». Le slogan figurait devant les silhouettes des membres de la « Weiße Rose », la Rose Blanche, ces jeunes résistant·es au nazisme, chassé·es et attrapés par la Gestapo, puis exécuté·es dans la foulée. Cette affiche, je l’avais achetée en 1983, lors d’une exposition qui commémorait les 40 ans de leur disparition. J’arrive à peine à croire que la semaine prochaine, cela fera déjà 80 ans que les nazis ont décapité ces jeunes gens autour de Hans et Sophie Scholl, étudiant·es à Munich, ainsi que leur prof de philo, Kurt Huber. En même temps, je suis soulagé qu’on ne les ait toujours pas oublié·es.
J'ai évoqué la « Weiße Rose » à deux reprises déjà sur cette antenne, en 2018, et en 2021. La première fois, pour rappeler leurs idées visionnaires sur l’Europe du futur, développées dans leurs tracts clandestins.
La deuxième fois, c’était en même temps pour saluer leur mémoire le jour même où Sophie aurait eu 100 ans.
Permettez-moi de leur rendre à nouveau hommage aujourd’hui.
Non seulement je vous le permets, je vous y encourage même !
Et vous avez raison, car aujourd'hui, l’éthique de la Rose Blanche revêt une nouvelle actualité, à plus d’un titre.
C'est une éthique qu'on pourrait qualifier de « kantienne ». Ressentir une obligation morale d'agir, tout en sachant dans son for intérieur qu'on n’a aucune chance d’aboutir. Puis mobiliser le courage de passer à l'action.
J'ai grandi dans un pays où ce courage n'était même plus requis, où il était aisé de donner voix à son désaccord, sans risque existentiel aucun. Un coup de chance en matière de date de naissance.
Mais la situation dans laquelle se trouvait la Rose Blanche n'a pas disparu pour autant. Le totalitarisme existe encore. Il exerce toujours sa répression brutale et systématique. Et il pose aux humain·nes qui vivent sous son joug les mêmes questions.
Vous pensez à la Russie de Vladimir Poutine ?
Et je me demande où est la rose blanche russe. Elle doit bien exister quelque part.
Avait-on, en 1943, seulement pris note en France, au Royaume-Uni, ailleurs, qu’il y avait dans l’Allemagne nazie des jeunes qui risquaient tout et ont été tués pour leur foi en un avenir humaniste loin de la terreur nihiliste ? Cela se trouve qu’il y en a en Russie, dans des camps, où peut-être même encore en liberté, et que nous ne les voyons pas.
J’espère seulement que quelqu’un racontera leur histoire quand le jour viendra où le pays sera à terre. Ils sauveront, à titre posthume, son honneur. Ils éviteront peut-être qu'il soit bêtement humilié, ils nous aideront à lui tendre la main.
C'est effectivement un discours que vous n'auriez pas eu à tenir il y a deux ans quand vous évoquiez la mémoire de Sophie Scholl sur notre antenne.
Mais il n'y a pas que la guerre qui fait penser à elle et à ses amis.
L’histoire de la Rose blanche soulève aussi la question de la désobéissance. C’est à cause de Sophie Scholl que vous ne m’entendrez pas parler en mal des jeunes activistes qui se battent, avec leurs moyens et pour l'instant de manière non-violente pour la grande majorité d'entre eux, contre la relative inaction, ou l’action insuffisante, du capitalisme et des gouvernements face au changement climatique. Ils sont animés non seulement par un sentiment de révolte, mais aussi par un sens de responsabilité éthique. Leur risque est certes moindre, vu qu’ils dénoncent l'inertie coupable de la société, son manque de courage, son abrutissement consumériste, de l’intérieur d'un cadre démocratique. Mais eux aussi sont motivés par un devoir moral et font preuve de « courage d’agir ».
C'est il y a 80 ans donc, le 18 février 1943, que les membres principaux de la Rose Blanche ont été arrêtés, avant d'être exécutés seulement quatre jours plus tard, le 22. C'est un devoir – et un honneur - d'évoquer leur héritage sur notre antenne.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.