L'Europe, le monde, la paix

Faire la paix. Et après ?

@Annette Jones de Pixabay Faire la paix. Et après ?
@Annette Jones de Pixabay

C’est l’heure de « L'Europe, le monde, la paix », notre chronique hebdomadaire du Centre d’excellence Jean Monnet UniPaix. Aujourd'hui, nous avons le plaisir d’accueillir Claire Demesmay, actuellement professeure visitante en études européennes à l’Université de la Sarre.

Claire, toute votre carrière académique et professionnelle a été sous le signe des rapports franco-allemands, à Paris d’abord, au sein de l’IFRI, puis pendant de longues années à Berlin où vous avez travaillé pour la DGAP, le think-tank numéro 1 en relations internationales. Avant de rejoindre, ces dernières années, l’Office franco-allemande de la Jeunesse. Vous allez donc nous parler d’une paix qui dure.

Oui, par les temps qui courent, dans un monde dans lequel la violence est aussi présente, dans lequel les réflexes nationalistes se raidissent, il ne faut jamais perdre de vue que l’entente entre les peuples est possible.

De ce point de vue, l’expérience faite par la France et l’Allemagne reste une source d’espoir. Le Traité de l’Elysée, signé en 1963, est encore valable aujourd’hui. Mais il ne faut pas perdre de vue que l’histoire aurait pu être très différente, marquée par la poursuite des conflits, plutôt que par une paix durable. C’est pourquoi on a raison de parler de ce rapprochement comme d’un « miracle des relations internationales ».

Est-il possible de tirer des leçons de ce cas historique très particulier ?

Les chemins qui conduisent à la réconciliation diffèrent toujours entre eux, mais tous sont précaires et périlleux. Ils ne peuvent réussir que si des dirigeants politiques prennent l’initiative du rapprochement, sans hésiter à aller à contre-courant de l’opinion majoritaire de leur pays. C’est la main tendue du président français Charles de Gaulle au chancelier fédéral Konrad Adenauer qui a permis de tourner la page du contentieux franco-allemand – alors même que dans l’opinion publique des deux pays, l’image de l’autre était encore négative. Avec leur poignée de main, ils ont ouvert un album de famille franco-allemand qui s’est enrichi au fil des ans de nouvelles images truffées de symboles, et qui contribue à une perception positive de l’autre. Sans le courage des dirigeants, la paix reste hors atteinte.

Mais au-delà des dirigeant•es, il faut d’autres voix pour briser le cercle vicieux de l’hostilité, non ?

Vous avez raison. Leur action, surtout lorsqu’un conflit est établi de longue date, a besoin du soutien de représentants de la société civile.

Dans le cas franco-allemand, ce sont des personnalités souvent issues de familles juives et ayant survécu à la persécution nazie, qui ont fait une contribution importante. C’est notamment le cas de Joseph Rovan qui, en 1945, tout juste sorti du camp Dachau, signa dans la revue Esprit ce qui devint le manifeste du rapprochement franco-allemand : convaincu que la politique de la France à l’égard de l’Allemagne déterminerait la façon dont celle-ci évoluerait, et avec elle l’Europe, il appela ses compatriotes à s’en rapprocher plutôt que d’entretenir les ressentiments. En organisant les premières rencontres de jeunes franco-allemandes dès 1948, ces femmes et hommes de bonne volonté ont précédé les décideurs politiques de leurs pays. Aujourd’hui encore, les rencontres entre les populations des deux pays, jeunes ou moins jeunes, jouent un rôle crucial.

Pourtant, quand on parle des relations franco-allemandes de nos jours, il est souvent question de tensions.

Bien sûr, le miracle historique franco-allemand n’empêche pas les difficultés dans l’élaboration de solutions ambitieuses pour l’Europe. Le système de concertation construit au cours des dernières années fonctionne, mais les compromis restent difficiles et prennent beaucoup de temps.

Cela vaut d’ailleurs aussi pour la société civile : l’image de l’autre est positive, mais nous continuons à mal nous connaître. Pire, une sorte d’indifférence s’est mise en place : on s’intéresse peu au pays partenaire, et on apprend de moins en moins sa langue.

Finalement, rien n’est jamais définitivement acquis.

C’est certain : aujourd’hui encore, soixante ans plus tard, le maintien de l’amitié et la poursuite du rapprochement nécessitent énergie, imagination et bonne volonté. Si l’expérience franco-allemande peut être une source d’inspiration pour des pas en conflit, il faut aussi que nous, en France et en Allemagne, ayons conscience de tout le chemin parcouru. Et que nous le poursuivions !

Merci beaucoup, Claire Demesmay, d’avoir accepté notre invitation. Je rappelle que vous êtes actuellement Professeure visitante à l’Université de la Sarre.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.