Toutes les semaines, la chronique « L’Europe, le monde, la paix » donne la voix sur euradio à l’un·e des membres du collectif de chercheur·ses réuni·es dans UNIPAIX, le Centre d’Excellence Jean Monnet basé à Nantes Université.
Albrecht Sonntag ! professeur à l’ESSCA Ecole de Management à Angers, cela fait longtemps que vous travaillez sur le sport international, et cela ne vous a pas échappé que le 6 avril marque la « Journée internationale du sport au service du développement et de la paix ».
Oui, cela fait un moment que cette journée symbolique existe, mais en 2024, son existence interpelle vraiment : tant de grands événements sportifs et si peu de paix, cela interroge.
Rarement, la présomption du caractère apolitique du sport, maintenue contre toute évidence et avec une persévérance remarquable autant par les instances sportives que par les acteurs politiques, n’est apparue aussi illusoire que cette année. Même si l’intrusion de la guerre dans les relations internationales sportives est loin d’être une nouveauté.
C’est bien cette année qu’on aurait besoin de la « trêve olympique » si souvent évoquée.
Il est vrai qu’aucun discours sur le sport dans les relations internationales n’oublie de mentionner le grand principe de la « trêve olympique ». Mais même la référence à cette notion datant de l’antiquité grecque induit en erreur. En aucun cas, les cités grecques arrêtaient leurs hostilités durant les Jeux Olympiques. Tout au plus, ils s’accordaient sur une libre circulation des sportifs entre les lignes de front, comme l’a récemment rappelé Patrick Clastres, éminent historient de l’Olympisme, dans une tribune publiée par Le Monde. Il a même usé du concept de « tradition inventée », un genre de « fake news mémorielle » dont l’histoire du sport pullule.
Ah ! Encore une illusion perdue ! Ne me dites pas qu’il y avait aussi des boycotts des J.O. dans l’antiquité ?
Parler de « boycott » serait un anachronisme, car c’est un terme très moderne, inventé à la fin du XIXème siècle d’après le nom d’un gestionnaire britannique de propriétés agricoles ruiné par une action solidaire de paysans irlandais.
Mais une suspension ou un bannissement, tout à fait semblable à celui que la communauté internationale pratique cette année à l’égard de la Russie et du Bélarus, oui, oui, cela existait déjà. On connaît au moins une suspension de la cité de Sparte, en l’an 420 avant notre ère. Suspension prononcée en pleine Guerre du Péloponnèse, comme par hasard.
Instrumentaliser les J.O., c’est donc littéralement « vieux comme le monde ».
Exact. Bien sûr, dans l’histoire de l’olympisme moderne, les suspensions et les boycotts sont devenus plus complexes. Vous vous souvenez des cas les plus classiques : les Etats-Unis et leurs alliés boycottent les J.O. à Moscou en 1980 en raison de l’invasion de l’Afghanistan, et l’Union soviétique et ses satellites répliquent à l’identique pour Los Angeles en 1984.
Oui, bien sûr. Les boycotts de la Guerre froide !
A Guerre froide bipolaire, boycotts binaires. Du type « Pays A boycotte un événement qui se tient en Pays B ». Mais cette année, on pourrait avoir des boycotts du type « triangulaire », où Pays A, pour une raison concernant un Pays B qu’il veut sanctionner, boycotte un Pays C organisateur – en l’occurrence, la France
Nous ne risquons guère que des pays se privent d’une participation aux J.O. juste pour montrer leur pseudo-solidarité avec la Russie. Mais il est parfaitement possible que d’ici l’été, une coalition d’Etats décide, devant l’escalade de la situation à Gaza, d’exercer une pression maximale sur le Comité International Olympique pour exclure Israël des Jeux, faute de quoi ils refuseraient, eux, de venir à Paris, capitale d’un Etat à qui ils reprocheraient en même temps d’appliquer deux poids, deux mesures dans ce conflit.
Nous ne sommes peut-être pas encore au bout de nos surprises. Les Jeux Olympiques sont chargées, surchargées d’un tel symbolisme que l’immixtion de la politique internationale est inévitable et, à vrai dire, permanente. Les J.O., c’est une belle lumière dans des temps obscures. Une lumière pacifiste, qui attire inéluctablement les mouches des conflits guerriers.
Perspective peu reluisante, c’est le cas de le dire. Espérons que les événements de cet été donnent tort à vos prémonitions. Merci, et à bientôt. Je rappelle que vous êtes professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.