L'Europe, le monde, la paix

25 ans après Omagh

25 ans après Omagh

Toutes les semaines, la chronique « L’Europe, le monde, la paix » donne la voix sur euradio à l’un des membres du collectif de chercheurs réunis dans UNIPAIX, le Centre d’Excellence Jean Monnet basé à Nantes Université.

C’est l’heure de « L'Europe, le monde, la paix », notre chronique hebdomadaire du Centre d’excellence Jean Monnet Unipaix. Aujourd'hui, nous avons le plaisir d’accueillir Charlotte Barcat, maîtresse de conférences en civilisation britannique à Nantes Université. Vous nous proposez de retourner 25 ans en arrière…

« Il y a une bombe. Tribunal. Omagh. 200 kg. Rue principale. Explosion dans 30 minutes ».

C’est le message reçu par téléphone le 15 août 1998 à 14h30 par une salle de rédaction, à Belfast.

Quelques mois plus tôt, l’Irlande du Nord célébrait l’Accord du Vendredi Saint, ou Accord de Belfast, signé par les gouvernements britanniques et irlandais, ainsi que la plupart des partis politiques nord-irlandais.

Un accord pour mettre fin à une période de 30 ans de violences, mieux connue sous l’euphémisme « the Troubles ». Pourtant, ce 15 août 1998, 4 mois après la signature de l’accord, va se produire dans la petite ville d’Omagh le pire attentat de l’histoire du conflit.

Qui avait intérêt à compromettre l’Accord du Vendredi Saint ?

Le coup de téléphone provient d’un groupe paramilitaire nationaliste dissident, qui se fait appeler la « Real IRA » – l’IRA Authentique. Ces dissidents rejettent le processus de paix, considérant que le Sinn Féin et l’IRA Provisoire ont trahi leurs idéaux en acceptant de renoncer à la violence.

L’avertissement reçu est flou : il parle d’une « rue principale » et du tribunal. La police, croyant bien faire, fait donc évacuer la zone autour du tribunal. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que la voiture piégée n’est PAS près du tribunal. Elle se trouve en bas de Market Street, la rue commerçante, là où de nombreux habitants de la ville font leurs courses du samedi. Précisément là où la police est en train de masser la foule.

A 15h10, la bombe explose. Le bilan est épouvantable : 29 morts et plus de 200 blessés. Parmi eux, des enfants, une femme enceinte de jumeaux, des catholiques, des protestants et même des touristes espagnols de passage. Jamais une bombe n’avait fait autant de victimes depuis le début du conflit.

Quel était son effet sur le processus de paix ?

Au lieu de le faire dérailler le processus de paix, cet attentat terrible sera en fait le dernier. L’horreur perpétrée à Omagh renforce la détermination de tous les acteurs, et en l’espace de quelques jours, l’IRA Authentique déclare la cessation de ses activités. Le gouvernement britannique intensifie la pression sur Gerry Adams, le chef du Sinn Féin, pour que l’IRA Provisoire commence à rendre ses armes.

Le processus de paix survit donc à Omagh.

Mais pour les familles des victimes, le combat continue. 25 ans plus tard, après de nombreuses enquêtes et même des procès, ils viennent seulement d’obtenir du gouvernement britannique une véritable enquête publique pour tenter de répondre à cette question lancinante : l’attentat aurait-il pu être empêché ? Y a-t-il eu des manquements de la part des autorités, avant et après l’attentat ?

Ironie du sort, cette commémoration des 25 ans d’Omagh et l’établissement d’une nouvelle enquête ont quasiment coïncidé avec l’adoption, début septembre, de la très controversée « Legacy Bill » par le Parlement britannique.

De quoi s’agit-il ?

Le parti conservateur au pouvoir souhaite mettre un terme aux poursuites judiciaires et aux longues enquêtes sur les événements des « Troubles ». Il propose une commission unique pour tenter d’élucider les nombreux homicides encore non résolus, et une immunité contre les poursuites pour toute personne qui acceptera d’y témoigner.

Mais aussi étrange que cela puisse paraître, Omagh pas concerné par cette loi ! En effet, techniquement, l’attentat a eu lieu APRES l’accord de paix.

Il aura fallu 38 ans pour qu’une enquête publique reconnaisse officiellement l’innocence des victimes du « Bloody Sunday » de 1972. Il a fallu 25 ans aux victimes d’Omagh pour obtenir une enquête publique.

Mais pour l’immense majorité des victimes des Troubles, ce type d’enquête sera désormais hors de portée. A moins que le système judiciaire n’intervienne : 11 recours en justice ont été annoncés depuis l’adoption de la loi.

On pourra au moins dire que le gouvernement britannique aura réussi cet exploit, très rare en Irlande du Nord : celui de rassembler tous les partis politiques nord-irlandais… mais de les rassembler CONTRE leur nouvelle loi.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.