Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, Senior Fellow de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.
Nous revenons aujourd’hui sur une question clé pour notre sujet, à la lumière d’une actualité internationale chargée : que représentent les relations franco-allemandes ?
Oui, je voulais revenir ensemble sur cette question. La première réponse, immédiate, c’est bien sûr la paix. La réconciliation franco-allemande est un exemple unique de pardon et de réconciliation entre ennemis jurés. La deuxième réponse est que nous sommes voisins, avec des liens étroits. La proximité géographique ne fait bien sûr pas tout dans les relations entre deux pays. Mais pour les habitants des régions frontalières, les travailleurs transfrontaliers, la réalité quotidienne est la confrontation entre deux modèles économiques, fiscaux, sociaux, etc.
Le traité de l’Elysée en 1963, puis celui d’Aix-la-Chapelle en 2019 sont venus apporter un cadre à cette coopération. Pour renforcer les liens dans tous les domaines, pour permettre à chacun d’apprendre la langue de l’autre, de connaître le pays voisin, pour construire les outils devant permettre de faciliter la vie au quotidien.
Cette relation bilatérale représente un cadre de coopération voire d’intégration unique. Or les dissensus restent nombreux : comment les traiter de manière constructive ?
Ces dissensus font notre richesse. Nous sommes d’accord sur le fait que nous ne sommes pas d’accord sur tout, et que nous pouvons en discuter. C’est le sens du Conseil des ministres franco-allemand, des organes de coopération, et plus récemment de l’Assemblée parlementaire franco-allemande créée en 2019. L’objectif : aborder ensemble les mêmes sujets, pour comprendre les positions de chacun et tracer des lignes de convergence. Entre élus de tous les groupes politiques de nos deux assemblées. Nos désaccords permettent paradoxalmement de tracer les perspectives d’une coopération nouvelle, sur le droit économique, l’environnement ou la défense par exemple. A condition de pouvoir s’exprimer de manière raisonnable, dans un espace commun.
Une coopération de débats, de projets… Le traité d’Aix-la-Chapelle l’a inscrit dans l’horizon européen, et la coalition “feu tricolore” en Allemagne a confirmé cette ambition européenne. Comment se noue-t-elle dans la relation bilatérale ?
C’est là sans doute que réside l’apport majeur du moteur franco-allemand, suffisant mais pas nécessaire, à la construction européenne. France et Allemagne ont des positions parfois éloignées. Elles l’ont été sur une dette commune, elles le restent sans doute en partie sur les règles budgétaires ou les priorités de la politique étrangère, elles le sont sur l’énergie nucléaire, sur la défense ou les exportations d’armements. Et France et Allemagne nourrissent des relations parfois différentes avec leurs voisins : sur les questions budgétaires, la France des années 2010 a pu paraître plus proche des pays méditerranéens, l’Allemagne des pays nordiques. Une convergence franco-allemande concerne donc des positions qui peuvent être partagées par d’autres États membres.
Elle peut ainsi constituer une passerelle, un barycentre autour duquel rassembler le plus grand nombre. Ce fut le cas du plan de relance européen de l’été 2020, à la suite d’une proposition bilatérale. Pensons à la devise de l’Union européenne : “unité dans la diversité”, cela ne signifie pas uniformité, mais bien plutôt ouverture à l’altérité.
D’autant que l’Allemagne est souvent plus encline au compromis, et au maintien de la cohésion entre les 27 États membres. Tandis que la France est plus facilement ouverte à des coopérations spécifiques entre États volontaires, pour avancer plus rapidement sur tel ou tel sujet. Avec 13 États, l’initiative européenne d’intervention entend par exemple développer une culture stratégique européenne.
Nous en parlions au début, l’actualité internationale est chargée, avec notamment la crise en Ukraine avec la Russie. Ces tensions internationales éclairent-elles d’un jour nouveau la coopération franco-allemande ?
Elles rappellent combien c’est un processus de longue haleine. Hésitante sur le gazoduc Nord Stream 2, l’Allemagne a pu apparaître comme le “maillon faible” des Occidentaux et mettre à mal l’unité, fragile, de l’Union européenne. Je mets de côté la question des livraisons d’armes à l’Ukraine, pour un pays très frileux en la matière. L’Allemagne s’est longtemps pensée avant tout comme une puissance économique, et a vu ses relations avec la Chine ou la Russie à l’aune de ses intérêts propres - ce qui l’a parfois amenée à faire cavalier seul en Europe. Or la population allemande, notamment la jeunesse, semble désormais prête à endosser, assumer un rôle plus géopolitique dans un monde multipolaire. Et la nouvelle coalition au pouvoir a sans doute ouvert un nouveau chapitre. La France peut jouer un rôle d’aiguillon.
Marie-Sixte Imbert au micro de Cécile Dauguet