Tous les mardis sur euradio, la spécialiste en affaires européennes et relations franco-allemandes Marie-Sixte Imbert analyse et décrypte les derniers événements et enjeux des relations franco-allemandes.
Ce 22 janvier, comme chaque année, nous fêtons l’anniversaire du traité de l’Élysée de 1963. Le contexte cette année est néanmoins très particulier : après une relance de la coopération en 2019, celle-ci paraît marquer le pas. Pourquoi alors parler de l’Assemblée parlementaire franco-allemande ? Et tout d’abord, qu’est-ce que c’est ?
Oui, les turbulences sont nombreuses pour la coopération franco-allemande. L’Assemblée parlementaire franco-allemande, c’est un projet dont les prémisses remontent à fin 2017 - début 2018, alors que le nouveau gouvernement allemand n’était pas encore constitué. C’est une initiative parlementaire : au-delà des bonnes volontés, il s’agissait de se donner un outil nouveau de coopération entre parlementaires français·es et allemand·es. Avec deux enjeux : rapprocher les méthodes de travail, et travailler ensemble de manière régulière sur toute une série d’enjeux - dont on sait qu’ils peuvent générer des frictions importantes.
L’accord a donc été adopté au printemps 2019 : l’assemblée commune rassemble 50 député·es français·e et 50 député·es allemand·es. Je précise qu’ils représentent tous les groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Bundestag, mais également de manière “équilibrée” leurs commissions et domaines politiques - des finances à la défense en passant par les affaires sociales ou les transports. Cette APFA se réunit en plénière au moins 2 fois par an : au quotidien, son bureau et ses groupes de travail mènent leurs travaux.
Cette assemblée parlementaire franco-allemande constitue donc un objet politique inédit : à quoi sert-elle ?
Sa mission première est de veiller à la mise en oeuvre des traités de 1963 et de 2019 : le traité de l'Élysée, dit “d’amitié”, a été complété en 2019 par celui d’Aix-la-Chapelle, “de coopération et d’intégration” - les mots employés sont forts. Ces deux traités, l’Assemblée parlementaire franco-allemande veille donc à leur mise en œuvre, et elle suit les conseils des ministres franco-allemands. Ce rôle de contrôle fait partie des fonctions du·de la législateur·rice, à ceci près que cette assemblée joue bien ici un rôle binational.
Ce que je trouverais particulièrement intéressant, ce serait que l’APFA exerce, ou continue à exercer ce rôle de contrôle comme au début de la pandémie de la Covid-19. Il y a les auditions, il pourrait y avoir des rapports et textes politiques : des positions parlementaires communes portées dans le débat public en France et en Allemagne.
Un rôle de contrôle et d’aiguillon de l’action des gouvernements donc : l’Assemblée parlementaire franco-allemande peut également se faire chambre de proposition en matière de politiques publiques ?
L’anecdote est parlante : la réunion de l’APFA début novembre 2022 s’est tenue quelques jours après l’annonce du report du Conseil des ministres bilatéral fin octobre. Le calendrier illustre combien cette assemblée peut et doit permettre de mettre sur la table ce qui fonctionne, comme ce qui fâche - nous avons déjà abordé ensemble ces points de friction. C’est bien le rôle des parlementaires de contribuer à construire des passerelles et des compromis pour répondre aux besoins. Je note d’ailleurs que l’Assemblée parlementaire s’est saisie des questions d’énergie : mix énergétique, rôle du nucléaire, développement des renouvelables, coopération bilatérale et politique européenne, positionnement international… Je suis curieuse de lire les conclusions du groupe de travail sur la souveraineté énergétique créé en novembre 2022.
Au-delà de l’énergie, d’autres sujets sont-ils sur la table ?
De la défense à l’économie via l’environnement ou la mobilité, les sujets sont nombreux : à l’image de l’ensemble des politiques publiques qui ont une dimension bilatérale.
Je reviens sur un point : un groupe de travail a été créé en novembre 2022 au sein de l’APFA sur “la transposition des directives européennes en droit national français et allemand”. C’est un point qui me paraît essentiel : une fois que l’on a convergé au niveau européen, il faut éviter les divergences dans la mise en œuvre des politiques au niveau national, divergences qui sabotent la possibilité même de coopérer. Une partie de la valeur ajoutée de l’Assemblée parlementaire dans le processus politique et législatif se joue ici.
Nous avons parlé de ce qu’elle est, de ce qu’elle fait ou peut faire : au fond, que représente cette Assemblée parlementaire franco-allemande ?
Je reviens sur l’institutionnalisation inédite de la coopération : il ne s’agit plus uniquement de rassembler des bonnes volontés ou de groupes d’amitié, aussi honorables soient-ils.
Surtout, cette assemblée peut adopter “des délibérations de nature technique ou politique et soumet[tre] à l'Assemblée nationale et au Bundestag allemand des propositions de résolution commune.” L’enjeu est alors que les textes soient adoptés dans les mêmes termes par les deux assemblées nationales : autrement dit, cette Assemblée parlementaire bilatérale peut constituer un outil parlementaire et politique puissant. Et ajoutons que l’on considère souvent que les député·es allemand·es ont plus de poids national que leurs homologues : ce peut donc être une opportunité pour les député·es français·e de gagner en influence, alors que la pratique de la Constitution de 1958 est peu favorable au pouvoir législatif - même si la vie parlementaire française est chamboulée depuis juin 2022.
La coopération franco-allemande se joue ainsi - ou non - à tous les niveaux, dans tous les domaines ?
Certainement ! Elle est comme l’ensemble de notre vie politique, de nos politiques publiques : elle est ce que, collectivement, nous voulons en faire, et en faisons. Il y a la clé de voûte politique des gouvernements, mais cette clé de voûte ne peut se comprendre que dans son environnement politique, économique, social, sociétal ou même culturel.
Entretien réalisé par Cécile Dauguet.