Les relations franco-allemandes - Marie-Sixte Imbert

L’Allemagne, comme la France ? - La chronique de Marie-Sixte Imbert

L’Allemagne, comme la France ? - La chronique de Marie-Sixte Imbert

Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, directrice des opérations de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.

Aujourd’hui, Marie-Sixte, vous nous expliquez en quoi la vie politique allemande est profondément originale par rapport à la France.

Pourquoi voulez-vous nous en parler ?

En fait, j’ai souvent entendu dire autour de moi, en parlant de l’Allemagne : « Merkel a décidé », ou « la Chancelière a décidé »... ce n’est pas complètement faux bien sûr, mais c’est calquer une grille de lecture française sur la vie politique allemande, et donc s’empêcher de la comprendre. Comme dans une famille, où on imagine que les cousins parlent de la même chose que nous, alors que pas du tout.

Alors, en quoi est-ce original ce fonctionnement politique de l’Allemagne ?

Contrairement à la France, qui est régime semi-présidentiel, l’Allemagne est un régime parlementaire, avec un scrutin proportionnel plurinominal. Le Chancelier est le (ou la) candidat(e) du parti majoritaire au sein de la coalition au pouvoir : élu par le Bundestag sur proposition du Président de la République après un accord de coalition. 

Regardons ensemble la coalition sortante, entre la CDU-CSU chrétienne-démocrate d’une part, et le SPD social-démocrate d’autre part. Ce sont deux partis qui il y a 4 ans ont eu besoin de six mois pour établir un contrat de coalition, juridiquement contraignant, qui fixe ce qui doit être fait, et borne ce qui ne peut l’être. Et en réalité il n’y a pas 2 partis au sein de cette coalition mais 3, puisque la CDU-CSU est elle-même composée de la CDU, implantée à travers toute l’Allemagne sauf en Bavière, et son « petit frère » bavarois, la CSU, d’ailleurs souvent plus à droite et plus conservatrice. Pour l’anecdote, que la CDU-CSU soit d’ailleurs dirigée par une femme, très diplômée, venue de l’Est, protestante, a longtemps été considéré comme une petite révolution lors de la prise de pouvoir d’Angela Merkel - c’était il y a 16 ans, en 2005.

Le Bundestag dispose enfin d’un pouvoir plus grand que l’Assemblée nationale par exemple. Le concept de domaine « réservé » au régalin pour la politique étrangère est ainsi un concept très français !

A fonctionnement politique original, culture politique propre ?

La culture politique allemande reste très imprégnée par quelque chose qui a une connotation souvent plus négative en France : le compromis, der Kompromiss. Les explications sont bien sûr nombreuses, entre héritage politique et historique. Il n’empêche que cette culture du compromis s’incarne dans le compromis politique entre partis qui rejoignent une coalition, entre Etat fédéral et régions, comme dans la capacité à nouer des coalitions différentes entre niveau fédéral et niveau régional.

Le résultat des dernières élections fédérales est ainsi très intéressant. Si on ne connaît pas encore - pour au moins plusieurs semaines ! - la composition de la future coalition, une certitude, déjà : les cartes politiques ont été largement rebattues, avec notamment l’obligation pour la première fois au niveau fédéral de construire une coalition non plus avec deux grands partis, mais trois. Les Verts et les libéraux du FDP détiennent en effet les clés du scrutin. 

Je ne dis bien sûr pas qu’il n’y a aucun compromis possible en France, mais c’est une véritable culture du compromis en Allemagne, au contraire de ce qui est parfois considéré comme une culture de l’affrontement. Sa culture politique est sans doute d’ailleurs plus proche de celle des institutions européennes que la nôtre.

Nous n’avons donc pas le même fonctionnement politique, la même culture politique : ça ne peut pas être anodin dans les relations franco-allemandes ?

Ne réifions pas la France, mais l’Allemagne avec cette logique à la fois de coalitions et cette logique multi-niveaux, mobilise un grand nombre d’acteurs aux intérêts, aux enjeux, pas toujours parfaitement alignés. 

Or les négociations doivent permettre de déterminer l’ensemble du cadre d’action à venir, souvent plus précises qu’en France : elles prennent donc bien sûr du temps, un temps où les positions de chaque acteur, leurs enjeux réciproques, les rapprochements et tensions potentiels, peuvent jouer un rôle clé pour pouvoir construire des solutions communes. 

Une illustration de cette complexité : le projet franco-allemand (et espagnol également désormais) de système de combat aérien du futur - le SCAF, ou ensemble de systèmes d’armes aériens interconnectés. Le sujet est d’autant plus complexe que les questions de défense sont épineuses chez notre voisin pour des raisons historiques et de culture politique. Toujours est-il que, alors que le Bundestag est sans doute plus divers politiquement que l’Assemblée nationale, il faut établir un équilibre entre l’ensemble des groupes de la coalition pour avancer. En juin, lors d’un vote budgétaire sur le projet du SCAF, les parlementaires de la commission du Budget ont ainsi finalement approuvé le financement d’une phase de recherche et développement. Un détail intéressant : les Verts, de manière attendue, ont voté contre - or leur participation à une future coalition fédérale pourrait compliquer les avancées franco-allemandes.

Si les jeux politiques allemands complexifient les relations dans certaines dimensions, est-il pour autant possible de dessiner des pistes d’action ?

Une certitude : l’Allemagne devrait rester un partenaire majeur pour la France, et l’inverse également Mais le pas de deux sera difficile à mettre en place, entre un gouvernement fédéral qui pourrait ne pas voir le jour avant plusieurs mois, et une présidence française de l’Union européenne réduite dans les faits à 3 mois, de début janvier à fin mars, donc limitée pour construire et porter des propositions européennes fortes, pour lesquelles le moteur franco-allemand sera nécessaire. 

De manière plus optimiste, les élections allemandes démontrent l’attention portée par les électeurs aux enjeux climatiques et environnementaux, de transition économique et industrielle. Avec une prochaine coalition qui sera amenée sans doute par ailleurs à approfondir la mue géopolitique de l’Allemagne, les prochains mois s’annoncent passionnants !

Marie-Sixte Imbert au micro de Laurence Aubron