Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, directrice des opérations de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.
Allemagne et révolution économique, vraiment ? Avec la politique économique et l’Allemagne au menu aujourd’hui, vous allez certainement nous parler d’orthodoxie budgétaire ?
Oui et non ! Mais oui, bien sûr, car la politique économique allemande est traditionnellement fondée sur la doctrine de l’économie sociale de marché. C’est une troisième voie entre libéralisme et dirigisme économique. Elle est fondée sur les lois du marché, avec un droit fondamental : la propriété privée. Son but essentiel est l’épanouissement de l’individu. Ce système est social car il est censé assurer la prospérité, donc le bien-être. L’Etat doit néanmoins intervenir pour en corriger les effets négatifs sur les plus faibles, et assurer la libre-concurrence. Régulation globale de l’économie et économie sociale de marché peuvent aller de pair.
Pour revenir à votre question, l’orthodoxie budgétaire s’incarne notamment en Allemagne à travers une expression : “schwarze Null”, littéralement, “zéro noir”. Mais on traduit surtout par “zéro ou plus”. Cette règle constitutionnelle est simple sur le papier : le budget de l’Etat doit avoir un déficit “null” ou être excédent - en allemand, on ne dit pas “être dans le vert”, mais “dans le noir”, “schwartz”. L’excédent obligatoire est devenu une règle constitutionnelle en 2009, lors de la grande coalition CDU-SPD. Et une réalité en 2014.
Ce fonctionnement s’appuie sur une institution clé, la Bundesbank. La banque fédérale, indépendante, porte traditionnellement une politique de rigueur. Incarnée par Jens Weidmann, patron de la Bundesbank depuis 2011, et membre du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne.
C’est donc une politique d’inspiration allemande qui est menée au niveau européen, à l’image des critiques contre la Chancelière allemande pendant la crise de la fin des années 2000 ?
La logique allemande a été l’un des grands axes de la construction économique européenne. C’est le traité de Maastricht signé en 1992, avec la construction d’une monnaie commune fondée sur des institutions communes. C’est aussi le Conseil européen d’Amsterdam de 1997, pour fixer les principes de la convergence européenne, avec notamment l’objectif de 60 % maximum de dette publique européenne. Ce sont donc les grands équilibres macroéconomiques européens qui ont été fixés ainsi.
La logique a d’ailleurs été poursuivie après la crise économique de 2007-2008, avec notamment le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). On s’intéresse bien ici à la politique de contrôle des politiques budgétaires - et des excédents budgétaires.
Le plan de relance européen acté à l’été 2020, sur une initiative franco-allemande, est fondé quant à lui certes sur cette logique allemande, mais également sur une plus française. Sur une réunification franco-allemande donc. Combiner les emprunts et subventions pour réaliser un dosage macroéconomique, pour flécher les investissements vers une logique d’avenir. Porté par la Commission européenne, ce dispositif s’appuie sur une ambition forte.
L’orthodoxie budgétaire fait-elle donc encore consensus ?
Le débat surgit, y compris en Allemagne, à l’aune des changements économiques mondiaux. Les exportations ont été mises à mal par la pandémie de la Covid-19, tandis que la transition environnementale réclame des investissements majeurs. Et ce alors que le taux d’endettement allemand est faible en comparaison de la France par exemple. Et les interrogations se font jour quant à l’automobile diesel, la chimie et les machines-outils.
D’ailleurs, les questions de transition ont été au cœur de la dernière campagne. Et au niveau européen, ces excédents créent des déséquilibres que la France et l’Italie n’ont eu de cesse de rappeler.
Quelles évolutions peut-on en attendre dans les politiques publiques allemandes ?
Le fait même que les marges de manœuvre budgétaires soient débattues est déjà un fait notable. Dans un pays profondément attaché à la stabilité, les grandes ruptures s’incarnent souvent dans de petits changements.
Comme à travers le rapport annuel du conseil des sages, le comité d’économistes conseils du gouvernement, publié début novembre. Pour la première fois, il n’y a pas eu une approche économique présentée, mais bien deux, différentes, en matière de politique budgétaire. D’un côté, la discipline stricte des comptes publics, dans la tradition dite « ordolibérale ». De l’autre côté, des propositions nouvelles pour financer la transition - environnementale comme numérique. Alors qu’elle est une priorité de la future coalition en négociations, nul doute que ces propositions sont intéressantes. D’autant que le FDP tient à ne pas augmenter les impôts ni remettre en cause le « frein à la dette ».
Quelques idées par exemple. Les entreprises publiques pourraient emprunter massivement au lieu de l’Etat fédéral. Ou encore profiter du maintien en 2022 de la levée du frein à la dette (sur fond de pandémie) pour constituer des réserves.
Pour en revenir à Jens Weidmann, le patron de la Bundesbank, son départ, pour raisons personnelles, se fait sur fond de désaccords avec les orientations récentes de la Banque centrale européenne. Son départ au 31 décembre est d’ailleurs considéré comme un aveu d’échec pour les partisans d’une politique monétaire restrictive. Entre évolutions conjoncturelles, et structurelles, affaire à suivre donc !
Marie-Sixte Imbert au micro de Cécile Dauguet
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