Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, directrice des opérations de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.
Alors que les négociations pour une coalition fédérale sont en cours en Allemagne, les Verts allemands ont annoncé en fin de semaine dernière ne pas constater suffisamment de progrès. L’occasion de s’intéresser à ce courant politique et à ses spécificités dans la vie politique allemande.
Oui, depuis les dernières élections fédérales, fin septembre, les négociations sont en cours pour former la prochaine coalition. Et déterminer son programme de travail pour les quatre prochaines années.
Pour la première fois, ce sont trois partis qui sont concernés. Les sociaux-démocrates du SPD, les libéraux du FDP et les Verts. L’objectif pour chacun est bien sûr de peser afin de porter ses propositions clés et de se retrouver politiquement dans le contrat de coalition. Contrat et résultats qu’il leur faudra assumer devant les électeurs dans quatre ans.
Quel est le problème actuel dans les négociations de coalition en cours ?
Pour préciser ce que cela représente, 22 groupes de travail, 300 experts, négocient sur l’ensemble des politiques publiques. A ce stade, les points de blocage clés majeurs semblent concerner le budget, l’asile et l’environnement. Les différences sont fortes entre les Verts et le FDP, mais aussi entre les Verts et le SPD. Ces différences étaient en réalité attendues - surtout entre Verts et FDP. C’est bien le sens d’ailleurs de ces négociations. Il s’agit de mettre sur la table les convergences comme les divergences, afin de construire une feuille de route commune pour les 4 ans à venir.
Au fond, la question est celle de la profondeur des désaccords, et de la capacité à construire des compromis. Et donc également celle des rapports de force. Et si les Verts ne sont pas arrivés premiers en termes de voix, ils sont indispensables à toute coalition.
Qu’est-ce qui fait donc la particularité des Verts en Allemagne ?
Comme leurs homologues européens, ils se mobilisent sur des enjeux désormais clés du débat public. Environnement, climat, biodiversité sont au cœur de leur expertise. Avec également pour les Grünen une attention marquée depuis les années 2000-2010 à la corrélation entre transition environnementale et transition sociale. Au-delà de leur marque de fabrique, ils entendent ainsi proposer un projet politique global. Même si certains points pourraient être clarifiés, comme la politique étrangère et de défense.
Mais la principale particularité des Grünen est d’avoir réussi leur mue gouvernementale. A leur création en 1980, ils étaient en effet surtout un mouvement protestataire. Et ils se sont également ouverts au centre, se positionnant au centre-gauche. La dernière campagne fédérale s’est d’ailleurs jouée en très grande partie au centre de l’échiquier politique - comme souvent en Allemagne.
Comment se concrétise cette évolution politique des Verts allemands ?
Cette évolution vers le centre se lit en premier lieu dans le positionnement de leurs membres. Ces derniers sont plus de 100 000 depuis 2020. Et la majorité sont des « Realos ». C’est le terme historique pour désigner les réalistes, partisans de l’alliance avec la gauche de gouvernement. Les « Fondis » (« fundamentalist ») sont au contraire moins nombreux. Une différence politique qui reste assez nette avec la France. La base du parti allemand est essentiellement urbaine, plutôt diplômée, et surtout présente à l’Ouest.
Cette évolution de la base s’est accompagnée d’un renouvellement des dirigeants eux-mêmes. Un renouvellement qui s'est incarné dans l’arrivée du tandem entre Annalena Baerbock et Robert Habeck à la co-présidence en 2018. L'arrivée de ces deux « Realos » a acté le glissement vers le centre du parti, et sans doute accompagné sa croissance au sein de l’électorat.
Les Verts allemands peuvent-ils ainsi être qualifiés de parti de gouvernement ?
Oui, cette évolution sociale et ce positionnement au centre-gauche permettent aux Grünen de discuter avec beaucoup d’acteurs politiques au sein du champ démocratique.
Cette culture du compromis est d'ailleurs facilitée, sinon encouragée, par le système politique allemand lui-même. Car il est notamment fondé sur un vote à la proportionnelle. Au cours des années 2010, les Verts ont ainsi beaucoup diversifié leurs coalitions à l’échelle des Länder. En allant au-delà donc du seul SPD. Ce qui l’a à la fois légitimé comme parti de gouvernement au niveau régional, et a amplifié son évolution vers le centre. Lors de la dernière campagne, les sondages ont donné pendant un temps les Verts vainqueurs.
C’est donc également la confirmation de cette évolution politique qui se joue dans les négociations de coalition. Il importe aux Grünen de démontrer que leur arrivée au pouvoir ne signifie pas un abandon des convictions et des promesses, mais permet d’obtenir des résultats à la hauteur des ambitions.
Marie-Sixte Imbert au micro de Laurent Petetin