Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, directrice des opérations de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.
Aujourd’hui, Marie-Sixte, vous nous dressez un bilan de la relation franco-allemande sous l'ère Angela Merkel et vous évoquez l'avenir de cet échange sous une nouvelle chancellerie en Allemagne.
Avec le départ prochain de la chancelière Angela Merkel du pouvoir à Berlin, une page se tourne. Quel bilan franco-allemand et européen faire de cette longue période ?
C’est effectivement une page de 16 ans qui est en train de se tourner, d’ici la constitution du prochain gouvernement de coalition et l’élection du prochain chancelier, à ce stade sans doute Olaf Scholz, candidat social-démocrate, en coalition avec les Verts et les libéraux du FDP.
Pendant ces 16 ans, nous avons vu une Allemagne européenne, forte économiquement, ouverte sur le monde, attachée à ses valeurs et son modèle démocratique, qui veut agir d’une manière guidée par les règles et les valeurs.
Nous avons aussi vu une Allemagne sensible sans doute avant tout à ses intérêts économiques, prudente en matière d’intégration européenne, très attachée à la relation transatlantique, et peu encline à jouer un rôle géopolitique majeur.
C’est donc un bilan contrasté, entre d’une part un certain manque d’une vision politique forte pour l’Union européenne, et d’autre part une volonté de maintenir la cohésion et des avancées majeures avec notamment la mise en place d’un instrument de dette commune depuis le printemps 2020.
En matière de relations franco-allemandes, nous avons également eu un renouveau majeur avec le traité d’Aix-la-Chapelle « sur la coopération et l’intégration » en 2019, avec de nombreux projets lancés, mais également un certain nombre d’interrogations sur la mise en œuvre concrète de la coopération : le diable se niche dans les détails, et elle demande du temps.
C’est donc un bilan contrasté, avec de nombreuses interrogations pour l’avenir. Qu’attendre du prochain gouvernement fédéral en matière de coopération ?
Une chose est certaine, les partis qui sont en mesure de former une coalition sont des partis pro-européens, profondément attachés à la coopération et favorables au multilatéralisme. De l’Europe, de la coopération internationale, il n’a en revanche quasiment pas été question pendant la campagne, au profit des enjeux environnementaux, des questions d’emploi ou d’innovation, abordées dans un cadre avant tout national. Comme si les candidats et les électeurs n’en faisaient pas une priorité pour ce débat public censé éclairer l’acte fondamental du vote. Il reste que les débats de la campagne ont été avant tout au centre de l’échiquier politique.
Ce qu’on peut attendre en revanche du prochain gouvernement, c’est bien de prendre à bras le corps la question de la responsabilité géopolitique qu’induit le poids économique. Et donc de définir une ligne plus claire en matière de politique étrangère, de la coopération bilatérale et européenne au positionnement international.
Il s’agit donc de passer d’une vision avant tout économique, à une vision politique : comment peut s’opérer cette mue ?
Elle est en réalité déjà en cours : pendant la campagne fédérale de 2013 déjà, Angela Merkel avait dit « L'Allemagne n'ira bien que si l'Europe va bien », concluant « c'est pourquoi nous avons une responsabilité première à remplir nos devoirs ». La crise de la Covid-19 a sans doute marqué un tournant à cet égard : la crise à la fois sanitaire, économique, sociale, et ses conséquences potentielles, a poussé l’Allemagne à accepter une plus grande intégration politique.
L’idée a d’ailleurs été d’abord officiellement proposée par la France et l’Allemagne avant d’être reprise par l’Union dans son ensemble. Avec un soutien massif aux pays les plus exposés, la révolution de l’instrument de dette commune change progressivement la donne. Face au risque d’implosion, de repli sur soi, de remise en cause majeur que générait la crise, un tabou, celui de la solidarité, a été levé.
On dit souvent que l’Union européenne avance dans les crises, mais cela ne fait pas forcément des tendances durables. Comment inscrire cette évolution dans le temps ?
La population allemande reste très majoritairement favorable à l’appartenance européenne, la France reste considérée comme le premier partenaire. Les jeunes générations d’électeurs sont également sans doute plus sensibles aux enjeux géopolitiques que les précédentes. Car face aux menaces chinoises ou russes, face aux interrogations quant à la relation transatlantique, face aux immenses défis par nature transnationaux que sont la crise climatique et environnementale par exemple, l'économie suppose toujours plus le politique. Cela prend du temps, mais la nouvelle génération de dirigeants politiques en Allemagne pourrait prendre d’autant plus ces enjeux à bras le corps.
Marie-Sixte Imbert au micro de Cécile Dauguet