Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, directrice des opérations de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.
Après le “quoi qu’il en coûte” face à la pandémie, et face à la guerre en Ukraine, l’Allemagne pourrait revenir à une politique budgétaire plus orthodoxe. C’est en tout cas ce que le ministre fédéral des Finances a annoncé mercredi dernier.
L’Allemagne est en effet connue pour son orthodoxie budgétaire, qu’elle prône à l’échelle nationale comme européenne. La politique économique allemande est traditionnellement fondée sur la doctrine de l’économie sociale de marché. Et l’orthodoxie budgétaire s’y incarne notamment à travers le “schwarze Null”, qu’on traduit souvent par “zéro ou plus”. Le budget de l’Etat doit donc avoir un déficit “null” ou être en excédent depuis 2009. Une règle devenue constitutionnelle en 2009, et une réalité en 2014.
L’Allemagne a néanmoins évolué sur la question. Nous avons eu le plan de relance européen et une dette commune européenne, au printemps 2020.
Oui, la pandémie a rebattu les cartes. Frein aux exportations, réduction des rentrées fiscales, frein généralisé à l’activité économique… En parallèle, la coalition “feu tricolore” s’est engagée depuis décembre à investir massivement pour moderniser les infrastructures, les services publics, du numérique à l’environnement et l’énergie. Et ce alors que le taux d’endettement allemand est faible par rapport à celui de la France : environ 70 % contre plus de 110 % en 2021. Et tandis qu’au niveau européen, le débat sur la politique budgétaire de l’Allemagne a pu être alimenté par la France ou l’Italie, sur fond de déséquilibres.
La guerre en Ukraine a-t-elle aussi contribué à renforcer cette réflexion sur les questions budgétaires ?
Un seul chiffre : le fonds spécial de 100 milliards d’euros pour la défense, annoncé par le Chancelier trois jours après l’invasion russe. Un projet de loi en cours d’examen doit d’ailleurs l’inscrire dans la Loi fondamentale. Mais pour revenir en arrière, la formation même de la coalition en décembre était intéressante. Le FDP, libéral, avait certes obtenu le ministère des Finances pour son président, Christian Lindner, connu pour être un “faucon” budgétaire. Et le contrat de coalition ne parlait que de “simplification” des règles budgétaires du pacte de stabilité européen, pas d’une réforme. Mais le ministre lui-même s’était montré ouvert à des discussions - et le fait même que les marges de manœuvre budgétaires soient débattues était déjà un fait notable.
Un ministre fédéral des Finances qui a annoncé mercredi dernier, le 11 mai, un “tournant” en matière de politique budgétaire en Allemagne. Que faut-il entendre ici ?
“2023 marque le début d’une nouvelle phase de la politique budgétaire” après une période “très expansive”. Christian Lindner souhaite “renforcer la croissance et éviter les impulsions inflationnistes”. Avec comme priorité le retour du frein à l’endettement, levé en 2020. Sur fond de flambée des prix de l'énergie, et de guerre en Ukraine, la croissance est en berne et l’inflation à la hausse : 7,4 % en Allemagne en avril sur un an, contre 4,8 % en France. Cette “rupture” proposée par Christian Lindner est en réalité plus un retour à la normale pour les finances publiques.
Le ministre a “proposé”, dites-vous : ce n’est pas la position de l’ensemble de la coalition ?
Selon Christian Lindner, cette “ligne directrice” n’a pas été discutée au sein de la coalition. Les libéraux sont historiquement des fervents défenseurs de l’orthodoxie budgétaire. Pourtant, de manière inhabituelle, cet hiver, leur président s’était montré ouvert aux discussions européennes. Ce n’était pas la garantie d’un ralliement aux propositions françaises de réforme des règles, mais sans doute la promesse d’un terrain possible de discussions.
Or ce débat européen sur le rythme de rétablissement des règles, sur leur contenu (notamment la limitation du déficit annuel à 3 % du PIB) ou leur méthode de calcul (faut-il exclure les dépenses liées à la défense ou à la transition énergétique ?) ne peut pas avoir lieu de manière indépendante par rapport au débat en Allemagne.
Le signal est donc plutôt négatif pour la France ?
Il montre que le débat, complexe, n’est pas clos. Peut-être aussi que les négociations au fond vont vraiment commencer : la question du maintien de la levée des règles pour 2023, sur fond de guerre en Ukraine, va se poser d’ici la fin de l’année. Et un “verrou” politique a sauté, avec les élections en Allemagne et en France désormais (presque) passées.
D’un point de vue politique, précisément, comment lire cette proposition de Christian Lindner ?
Face aux interrogations sur l’unité de la coalition, il est possible que Christian Lindner souhaite revenir à des marqueurs politiques des libéraux. Le modèle géopolitique, économique, énergétique de l’Allemagne est à réinventer, et un contrat de coalition a été établi, mais les libéraux restent plus frileux en matière d’intervention fédérale que les sociaux-démocrates et les Verts.
Et les dernières élections régionales ne devraient pas les inciter à lâcher du lest : moins cinq points dans les sondages depuis novembre, échec de leur tentative d’entrer au parlement sarrois en mars, moins 5 points lors des élections dans le Schleswig-Holstein le 8 mai, moins 6,5 points en Rhénanie-du-Nord-Westphalie ce dimanche 15 mai - soit une division par plus de deux dans le Land même du ministre, et région la plus peuplée d’Allemagne. Le débat pourrait se tendre sur les questions budgétaires, en Allemagne comme au sein de l’Union européenne.
Marie-Sixte Imbert au micro de Laurence Aubron