Tous les mardis sur euradio, la spécialiste en affaires européennes et relations franco-allemandes Marie-Sixte Imbert analyse et décrypte les derniers événements et enjeux des relations franco-allemandes.
On a beaucoup parlé en cet automne 2022 des différences de caractère, de personnalités et de styles politiques entre le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz. Quelles sont ces différences ?
Olaf Scholz est plus réservé qu’un Emmanuel Macron beaucoup plus discret. Cela fut même parfois reproché au jeune président français au début de son premier mandat, quand on critiquait l’hyperprésidentialisation” du président “jupitérien” et son “hypermédiatisation”. Olaf Scholz est plus discret : à l’hiver 2022, à la suite de son arrivée à la tête de la coalition tripartite, on a même vu le hashtag #WoIstOlaf, #MaisOùEstOlaf, faire florès sur Twitter. Une différence de caractères certainement, une différence de styles politiques : la dimension personnelle est certainement forte, mais elle ne peut résumer à elle seule ces différences.
Ces personnalités reflètent-elles également des différences de systèmes politiques ?
Emmanuel Macron est certainement un produit du fonctionnement et de la culture politique française : nous avons un régime semi-présidentiel, le président est élu au suffrage universel direct, ce qui suppose une rencontre personnelle avec les électeurs. Le président joue un rôle d’arbitre selon la Constitution mais comme l’a dit le constitutionnaliste Georges Vedel, “C’est un arbitre qui touche le ballon”. Il dispose d’un pouvoir prééminent pour ce qui concerne le “domaine réservé” - la défense nationale et la politique étrangère - mais aussi tout sujet qui s’impose dans le débat public. Une prééminence qui s’est renforcée avec “l’hyperprésidentialisation” depuis les années 2000.
La situation est-elle différente en Allemagne ?
C’est un régime parlementaire dans lequel le chancelier fédéral est le chef du gouvernement : c’est un parlementaire, chef du parti arrivé en tête aux élections fédérales. Avant d’arriver à la chancellerie, il a fallu négocier des compromis pour constituer un gouvernement. Dans le système politique allemand depuis 1949, il est inconcevable qu’un ou une élue puisse se considérer comme l’élu et le représentant de tout un peuple. Olaf Scholz joue avant tout un rôle d’arbitre au sein de sa coalition : par exemple lors de la décision de prolonger de décembre 2022 au 15 avril 2023, les trois dernières centrales nucléaires encore en activité, ou lors de la décision de laisser l'entreprise chinoise Cosco prendre 24,9 % des parts d’un des quatre terminaux de conteneurs du port de Hambourg. L’Allemagne a tendance à écouter les paroles, et attendre les actes pour ensuite avancer : la logique française est plus directe, une différence qui peut générer des frustrations.
Quel rôle pour la coopération personnelle entre dirigeant·es politiques dans la coopération entre Paris et Berlin ?
Ce duo joue un rôle politique, et symbolique, majeur. Les images de la coopération franco-allemande, ce sont de Gaulle et Adenauer dans la cathédrale de Reims, Giscard parlant à la télévision du “théorème d’Helmut” (le chancelier Schmidt) : “Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain”, ce sont François Mitterrand et Helmut Kohl main dans la main à Verdun en 1984, ou Emmanuel Macron et Angela Merkel dans le wagon des armistices à Compiègne en 2018. Cette proximité personnelle joue également un rôle de baromètre.
Les différences de personnalités entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz expliquent-elles les difficultés actuelles de la coopération franco-allemande ?
On dit que leur proximité personnelle est moins grande. De bonnes relations personnelles peuvent faciliter les choses - c’était d’ailleurs particulièrement important lorsque la coopération bilatérale ne pouvait pas s’appuyer sur un cadre institutionnel aussi solide qu’aujourd’hui. L'Assemblée parlementaire franco-allemande a d'ailleurs été créée en 2019 pour institutionnaliser cette coopération, au-delà des engagements personnels ou politiques.
Restons néanmoins prudents. L’heure n’est plus aux effusions médiatisées du passé : la dimension personnelle n’a plus la même importance symbolique, maintenant que le rideau de fer a disparu et que l’inimitié appartient au passé. L’évolution du “couple franco-allemand” le montre : il a fallu un refus commun de la guerre en Irak en 2003 pour que les relations Chirac-Schröder sortent de l’ornière ; tandis qu’entre Merkel et Sarkozy avant la crise de l’euro, Merkel et Hollande avant les attentats de 2015, la relation était sans chaleur aucune. Et pourtant, on se souvient du surnom “Merkozy”, ou de l’émotion d’Angela Merkel lors de ses adieux à la France fin 2021.
La coopération se construit donc dans des discussions parfois tendues, où les rapports de force ont tout leur poids ?
Ce fut le cas entre Mitterrand et Kohl lors de la réunification allemande et l’adoption de l’euro. Travailler avec les différentes coalitions dirigées par Angela Merkel n’a pas non plus été un long fleuve tranquille - de la décision unilatérale de l'Allemagne en 2011 de sortir du nucléaire, à celle de 2015 de négocier un accord migratoire avec la Turquie. Il est de la responsabilité des responsables politiques de travailler avec tous leurs homologues. Or, Emmanuel Macron et Olaf Scholz se connaissent depuis plusieurs années : ce dernier était ministre fédéral des Finances de 2018 à 2021. D’autre part, il est de l’intérêt bien compris de la France et de l’Allemagne de trouver un terrain d’entente même si à l’évidence, l’alliance est un combat et chacun défend ses intérêts. La guerre en Ukraine impose plus que jamais de raisonner dans un cadre européen, et notamment de travailler avec les pays d’Europe centrale et orientale.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.