Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.
Nous sommes à quelques jours de l’ouverture de la COP 29 sur le climat qui a lieu du 11 au 22 novembre à Bakou en Azerbaïdjan. Le choix de l’Azerbaïdjan est critiqué. Pourquoi ?
L’Azerbaïdjan est un important producteur de pétrole et de gaz. Pour vous donner un ordre de grandeur, le pétrole et le gaz représentent 90% de ses exportations et 51,5% de son budget. Ce qui pose notamment problème c’est que l’Azerbaïdjan n’a pas prévu de sortir des énergies fossiles. La situation est paradoxale : d’un côté la COP climat vise à trouver des solutions pour lutter contre le changement climatique et de l’autre on a un pays hôte qui a pour ambition d’augmenter sa production de gaz d’un tiers dans la prochaine décennie. On peut donc douter de la volonté de l’Azerbaïdjan de négocier des mesures ambitieuses pendant cette COP. Autre raison, pour l’Azerbaïdjan, organiser un événement d’une telle envergure est un moyen de blanchir son image et il en a grandement besoin.
Comment ça ?
Le pays est gangréné par la corruption. Il est classé 154ème sur 180 sur l’indice de perception de la corruption de Transparency International. Des scandales de corruption éclaboussent régulièrement Ilham Aliyev, Président depuis 2003, sa famille ainsi que l’élite du pays qui ont le monopole dans de nombreux secteurs. L’immense manne pétrolière, par exemple, est détournée au profit de l’entourage du pouvoir. Cette mainmise permet au régime de se maintenir au pouvoir et au passage de s’acheter des propriétés luxueuses notamment au Royaume-Uni !
Est-ce que cette corruption se cantonne aux frontières de l’Azerbaïdjan ?
Non, elle va jusqu’à toucher l’Europe comme l’a révélé le média d’investigation OCCRP en 2017. Des pots-de-vin ont été versés à des personnalités politiques européennes pour influencer les positions de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pour qu’elle soit bienveillante à l’égard de l’Azerbaïdjan. C’est ce que la presse a surnommé la diplomatie du caviar.
Mais l’Azerbaïdjan est aussi connu pour ses atteintes aux droits humains.
Oui, tout comme la corruption, la répression fait partie du mode de fonctionnement du régime pour se maintenir au pouvoir. Plus de 300 activistes, journalistes, figures politiques de l’opposition sont actuellement en prison. La répression s’est intensifiée en amont de la COP 29. Selon Freedom Now et Human Rights Watch, 33 personnes ont été arrêtées ces 14 derniers mois pour des motifs fallacieux comme la contrebande de devises, le blanchiment d’argent ou la fraude fiscale. A titre d’exemple : le Dr Gubad Ibadoghlu, économiste, finaliste du prix Sakharov 2024 pour la liberté de l’esprit du Parlement européen et figure de proue de la transparence dans le secteur extractif a été arrêté en juillet 2023. D’abord détenu dans des conditions inhumaines, il est assigné à résidence depuis avril 2024. Le but de ces arrestations et de ces poursuites est simple : réduire au silence les voix qui dérangent et dissuader les autres de s’exprimer. Cette répression va au-delà des frontières puisque le pouvoir est accusé de commanditer des exécutions d’opposants en exil comme Vidadi Isgandarli, ancien procureur, qui a été assassiné à Mulhouse le 1er octobre. On ne peut pas non plus ignorer le conflit avec l’Arménie.
Tout ça, ce n’est pas de bon augure alors que la COP s’ouvre lundi.
C’est le moins que l’on puisse dire. D’autant que la COP climat est censée être un espace où toutes les voix peuvent s’exprimer.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.
Sources :
- OCCRP, The Azerbaijani Laundromat (2017)
- OCCRP, Azerbaijan’s Ruling Aliyev Family and Their Associates Acquired Dozens of Prime London Properties Worth Nearly $700 Million (2021)
- Urgewald et CEE Bankwatch, SOCAR – Azerbaijan's Fossil Fuel Proxy (2024)
- The Sentry, Azerbaijan: Aliyev Empire (2024)
- Human Rights Watch, “We Try to Stay Invisible” - Azerbaijan's Escalating Crackdown on Critics and Civil Society (2024)
- Politico, Good COP, bad COP: Azerbaijan’s climate charm offensive is backfiring (2024)
- Amnesty International, COP29. Les États doivent faire pression sur les autorités azerbaïdjanaises pour mettre un terme à l’offensive contre la société civile (2024)
- Le Monde, Un opposant azerbaïdjanais assassiné à son domicile en Alsace (2024)