Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.
Depuis son retour au pouvoir, Donald Trump convoite les terres rares et autres minerais critiques qui se trouveraient dans les sous-sols du Groenland et de l’Ukraine. Pourquoi cette convoitise ?
Les minerais comme le lithium, le cobalt, les terres rares ou le cuivre sont essentiels pour notre vie quotidienne. On les retrouve dans les téléphones portables, les ordinateurs, les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle, la défense, etc. Ces minerais sont aussi nécessaires pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. On en a en effet besoin pour les énergies renouvelables. L’Agence internationale de l’énergie prévoit d’ailleurs que d’ici à 2040 la demande en minerais pour les panneaux solaires, les éoliennes, les véhicules électriques, etc. va être multipliée par 4, voire par 30 pour certains minerais. C’est pourquoi plusieurs pays dont les Etats-Unis et l’Union européenne considèrent certains minerais comme des matières premières critiques ou stratégiques.
Avec cette explosion de la demande, j’imagine qu’il va falloir trouver de nouvelles mines.
Tout à fait Laurence, d’autant que certaines de ces ressources ne se trouvent que dans certains pays. Par exemple, la Chine fournit 100% de l’approvisionnement de l’Union européenne en terres rares lourdes tandis que la République démocratique du Congo est le principal producteur mondial de cobalt, la Guinée de Bauxite et l’Indonésie de nickel et d’étain. Donc sécuriser et diversifier l’approvisionnement de ces minerais est un enjeu géopolitique, économique et sécuritaire majeur qui va exacerber les rivalités et les tensions. C’est ce qui explique notamment l’insistance de Donald Trump envers le Groenland et l’Ukraine.
Quels sont les risques de cette course aux minerais considérés comme critiques ?
Les risques sont globalement les mêmes que pour l’extraction des autres minerais : des atteintes à l’environnement comme la pollution de l’eau ou des sols, une consommation importante d’eau pour l’extraction de ces minerais. Des violations des droits humains avec des exactions commises sur les populations, le déplacement des populations pour accéder à leurs terres ou encore le travail des enfants. On va aussi avoir des groupes armés qui sont impliqués dans l’exploitation des minerais critiques. Et puis, il y a un risque élevé de corruption, un risque qui est globalement peu pris en compte lorsque l’on parle des besoins en minerais pour la transition énergétique.
Pourquoi la corruption est-elle un facteur de risque ?
Comme je le disais, la demande est de plus en plus forte pour permettre la transition énergétique. Sécuriser l’approvisionnement est donc essentiel. La corruption va alors servir à obtenir l’accès à ces ressources minières. Sans compter les profits vertigineux à la clé. Et puis ces minerais se situent souvent dans des pays où il y a des problèmes de gouvernance ou qui sont mal classés par l’Indice de perception de la corruption de Transparency International. Selon la branche australienne de l’ONG, 91% des terres rares, 74% du cobalt et 67% du nickel se trouvent dans des pays à haut risque de corruption.
Quelles formes prend la corruption ?
On retrouve des pratiques de corruption à toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement. Il peut s’agir de pots-de-vin, d’extorsion, d’abus de fonction, de trafic d’influence pour obtenir des permis ou des changements législatifs en faveur des entreprises minières, pour qu’on ferme les yeux sur les activités illégales, pour manipuler les études d’impact environnementales ou encore pour manipuler les consultations auprès des communautés locales mais aussi pour éviter de réhabiliter les sites miniers après leurs fermetures. Des pays considérés à faible risque de corruption ne sont pas épargnés par la course frénétique pour les minerais critiques. Par exemple, au Portugal, une enquête pour corruption et trafic d’influence a été ouverte en 2023 dans le cadre de l'attribution de licences d'exploration de lithium et de production d'hydrogène vert. Ce scandale a entraîné la démission du Premier ministre portugais en novembre 2023. Donc il ne faut pas croire que l’Europe échapperait à la corruption dans cette course effrénée aux minerais critiques.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.
Sources :
Site internet de la Commission européenne sur les matières premières critiques
L’heure du monde, Pourquoi Donald Trump veut-il mettre la main sur les terres rares ?, 2025
Transparency International Australia, Global transition, local transformations - Governance Challenges for the Energy Transition at the Sites of Extraction, 2025
Novethic, La ruée vers le lithium du Portugal freinée par un scandale de corruption impliquant le Premier ministre, 2023
NRGI, Ten Red Flags for Corruption Risk in Transition Minerals Licensing and Contracting, 2024