Révolution spirituelle

Apprendre à faire le deuil

Apprendre à faire le deuil

Dans cette chronique, Nathalie Richard, coach et facilitatrice en transition intérieure et gardienne d’un écolieu dans le Finistère, tente de démystifier un sujet aussi mal compris qu’oublié : la spiritualité.

Cette semaine Nathalie vous nous parlez de notre capacité à faire face au deuil.  

Oui cela peut paraitre surprenant car c’est un sujet peu évoqué tant il peut rebuter.

Peut-être vous êtes-vous dit ça d’ailleurs Laurence en prenant connaissance du sujet : et bien ce n’est pas très gai !

Pourtant moi il me tient très à cœur.

Déjà parce que les sujets mal aimés, j’ai une fâcheuse tendance à au contraire les apprécier.  

Ça doit être mon goût des contre pieds. 

Mais il y a aussi une bonne raison à cela. 

Je me dis que ce qui est planqué sous le tapis dans notre société a un sérieux potentiel pour devenir une clé. 

Car on ne peut pas dire que tout roule aujourd’hui, donc il n’est pas impossible qu’aller regarder ce qui nous déplait révèle des voies de sortie, ou tout du moins de résilience, insoupçonnées.

Pour moi c’est le cas du chagrin, des pertes et du deuil. 

Mais de quoi parlez-vous exactement quand vous parlez de deuil Nathalie ?

Quand je parle de deuil, je ne parle pas uniquement du décès d’un proche humain.

Je parle bien de tous les attachements que nous perdons tout au long d’une vie.

Cela peut être le décès d’un humain, d’un animal mais aussi la perte d’une amitié, d’une relation amoureuse, la perte d’un emploi, d’une maison, d’un arbre, d’un paysage, d’une douceur de vivre…

En somme, comme l’explique le psychiatre Francis Weller, le deuil est la réponse de notre cœur et de notre âme à une perte. 

Quand nous sommes en deuil, nous sommes tirés vers le bas, vers le sol, nous sommes mis à genoux, à terre. Le terme grieving en anglais (faire son deuil) a d’ailleurs la même racine que grave, gravité. 

Le deuil, c’est le prolongement naturel de l’amour. Il n’y a pas de séparation entre l’amour et le deuil. Il n’existe pas d’amour qui ne connaisse pas la perte. Ce sont les 2 faces d’une même pièce. 

C’est le principe même de la vie. Il n’y a pas de vie sans mort. 

La perte et le deuil sont donc d’une importance capitale car c’est notre manière à nous les humains de reconnaitre nos attachements. Nous ne faisons le deuil que de ce que nous aimons. 

Et en quoi notre manière de faire nos deuils pose t-il problème aujourd’hui ? 

Ce que je constate c’est à quel point faire son deuil aujourd’hui en occident est devenu une affaire privée.

Nos chagrins, nos pertes, nous les pansons individuellement dans un cercle très privé. 

Parfois nous avons même tendance à les supprimer, à faire comme si nos tristesses n’existaient pas car elles ne sont pas les bienvenues. 

Nous ne sommes pas à l’aise pour en parler en société, d’ailleurs ça met aussi les autres mal à l’aise quand on le fait. 

Nous nous excusons quand nous pleurons. 

Parce qu’en société, il faut être fort, productif, héroïque,  il faut que ça aille bien n’est-ce pas ? 

Notre culture individualiste n’offre pas d’hospitalité pour la vulnérabilité. 

Le diktat de notre culture face au deuil c’est plutôt : remets-toi vite ! 

Et pourtant fut un temps c’était bien différent. 

Nous portions par exemple un habit distinctif, du noir pour signaler aux autres que nous étions endeuillé.e. 

La société pouvait ainsi le prendre en considération. Et cela durait dans le temps. 

Le deuil ne reposait pas seulement sur les épaules de l’individu, il était partagé.

Cette inhospitalité de la vulnérabilité me semble très dangereuse,  et totalement à contre-courant de ce dont nous allons avoir besoin tout prochainement.

Comment cela : est-ce que vous pouvez nous expliquer ?

Que ça nous plaise ou non et croyez-moi je n’ai aucun plaisir à dire cela :  nous nous dirigeons vers une grande descente civilisationnelle.

Nous nous sommes tant déconnectés du vivant, nous avons tiré si fort sur l’élastique des capacités planétaires qu’il est entrain de rompre violemment.

Les effondrements vont se multiplier et s’accélérer. Et oui c’est effrayant. 

Mais il est surtout temps de se demander comment nous allons faire face à toutes ces pertes. 

Nous abordons des temps très difficiles et c’est déjà grave mais, en plus, disons-le clairement, nous ne sommes pas équipés. 

Aujourd’hui en France, 1 personne sur 5 est touchée par un trouble de santé mentale. 

Plus d’un quart des Français consomme des médicaments pour y palier.  

Ces chiffres alarmants montrent que notre manière d’adresser les pertes : individuellement, en privé, souvent de manière médicamenteuse est inadaptée. 

Il est temps d’en prendre conscience pour la ré inventer. 

En effet mais comment ? Avez-vous une proposition ?

Oui car notre rapport au chagrin, au deuil n’est pas une fatalité. 

C’est un aspect de notre culture que nous pouvons et devons transformer. 

D’autres cultures d’ailleurs sont très différentes et comme je le sous entendais plus tôt, la nôtre aussi l’a été. 

Francis Weller raconte une de ses rencontres dans un village en Afrique où il ne se passait pas une semaine sans qu’un rituel de deuil n’ait lieu. 

Il y voyait des individus pleurer toutes les larmes de leur corps. Et quelques minutes plus tard il observait ces mêmes individus danser, chanter, rire à gorge déployée. 

Il partage alors sa surprise à une des femmes présentes : vous êtes tous si joyeux ! 

Et elle de lui répondre : c’est parce que nous pleurons beaucoup. 

On le sait maintenant, nos larmes contiennent du cortisol (l’hormone du stress).

Pleurer permet de relâcher ce stress. 

Qui n’a jamais constaté à quel point on se sent mieux après ? Comme si les larmes nous nettoyaient. 

Plus impressionnant encore, des études montrent qu’à l’inverse, le fait de ne pas accepter de se laisser traverser par nos profondes tristesses crée des congestions au cœur. 

Et si notre civilisation était entrain de mourir de défaillances cardiaques ? 

Et si notre vitalité était prisonnière de notre aversion à la tristesse ?  

Et si savoir traverser nos pertes était une compétence à acquérir de tout urgence ?

Garder notre cœur chaud et tendre, pas seulement pour soi mais pour aimer plus grand que soi.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.