Une fois par mois, Alexandra Fresse-Eliazord décrypte les mots de l’actualité pour nous faire prendre un peu de recul sur le vocabulaire employé par les personnes publiques, les responsables politiques, les journalistes ou les entrepreneur·es.
Bonjour, pour cette première chronique autour des mots qui font l’actualité française et européenne, vous avez choisi le mot « coupe »… mais de quelle « coupe » parle-t-on ?
Alors je ne parlerai pas de la coupe de la rentrée, celle faite en salon de coiffure tout début septembre, ce ne sera pas non plus « la coupe que l’on ramène à la maison », car cet été, ce sont plutôt des médailles que l’on ramenait ; Mais justement, après cette parenthèse enchantée des Jeux Olympiques et Paralympiques, nos enfants de nouveau dans les salles de classes, voici venu le temps des choses vraiment sérieuses.
Oui, « la situation est très grave », a dit Michel Barnier dès sa prise de fonction.
Et il n’est pas le seul. « La situation est grave » selon de nombreux commentateurs, et il s’agit ici de la situation budgétaire, sujet avec lequel le Premier ministre a d’ailleurs introduit sa déclaration de politique générale. Ce qui, dès la constitution du nouveau gouvernement, a amené à craindre des « coupes », coupes budgétaires donc.
Est-ce un sujet franco-français ?
Alors non, le « dérapage » du déficit public, et je reviendrai sur ce mot, est pointé du doigt par la Commission européenne dans 7 pays, dont la France, (mais aussi la Belgique, la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie, Malte et la Roumanie).
Et si le Premier ministre a rompu avec la doxa macroniste en déclarant qu’il y aurait des hausses d’impôts, cela ne suffira pas puisque, pour revenir aux 3 % fixés dans le Pacte européen de stabilité et de croissance, il faudrait trouver 100 milliards d’euros sur 5 ans. Avec, notamment, des dépenses publiques plus « efficaces »…
D’où la menace de « coupes » ?
Oui, et le mot « coupe » connaît des variations, avec sa connotation, avouons-le un peu brutale. Cela évoque les coupes claires dans les forêts, après lesquelles l’horizon est certes dégagé mais le sol un peu à nu. Nous avons dans la même idée, chez les journalistes, l’expression « trancher dans les dépenses » ou « tailler dans les dépenses publiques » mais aussi, moins radicale, l’expression du : « coup de rabot ». Nous voilà ici dans le vocabulaire du travail du bois, avec également l’expression de : « revenir dans les clous ».
Utiliser le vocabulaire du « bricolage » pour les finances publiques, est-ce vraiment de bon augure ?
Eh bien, le « bricolage » c’est dans l’air du temps, c’est faire soi-même à la main plutôt que d’acheter des solutions toutes faites. Lorsqu’un journaliste du Monde, nous explique, dans « l’heure du monde » du 23 septembre, que : « tout a dérapé », en termes de calendrier budgétaire, de déficit et de dette publics, on comprend bien qu’il va falloir faire du « sur-mesure ». Notons cependant que le rabot n’est pas un outil utilisé par le bricoleur du dimanche. Car si on « dérape » avec le rabot, au mieux, la planche n’est pas aux bonnes dimensions, au pire, on se blesse. Il faut tout de même un vrai savoir-faire.
Donc le sujet c’est : de quels moyens vont disposer les Ministères en 2025 ?
Oui, mais à trop se focaliser sur les moyens, ne perdons-nous pas de vue la « fin », l’objectif des dépenses publiques. C’est même Dominique Seux, des Echos, 1 er journal économique français qui le dit : « le budget ne doit pas être la priorité de Michel Barnier ». Aux artisans du budget de se souvenir qu’ils ne sont donc pas des bûcherons qui coupent et qui taillent, mais bien des artisans, au sens noble du terme, dont les services publics, les hôpitaux, les écoles, et tout ce qui constitue la cohésion sociale… attendent qu’ils nous livrent un mobilier et un cadre certes « efficace » mais surtout pas trop bancals.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
Un exemple parlant de l'utilisation de cette expression chez les journalistes.