Colonne Verbale

Colonne Verbale #19 - L’almanach des tempêtes

Colonne Verbale #19 - L’almanach des tempêtes

Chaque mois, retrouvez Pierre Maus dans l’émission Colonne Verbale, une sélection musicale douée de parole. Réalités infimes et fictions dérisoires s’entremêlent à des morceaux oscillant entre electro, groove et jazz.

Tracklist :

Harry James – Tumbleweed

Charles Stepney – Black Gold

Allan Zavod – Circles

Vince Guaraldi Trio – What Child Is This

Erni Clark – By the Grace of God, I Am

Mal Waldron - Fire Waltz

Don Rendell Quintet – Antibes  

Michael Garrick Sextet – Second Coming

Lennie Tristano – Yesterdays

Freddie Hubbard, Curtis Fuller And Yusef Lateef – Chantized   

Wildflower – Blue

Emmanuel Abdul-Rahim Ft. The Times At Hand Orchestra – Sabu


L’almanach des tempêtes est un ouvrage étrange, dont on ne sait presque rien, si ce n’est qu’il fut publié à Aberdeen, par un certain Albert Abberline, et qu’il traite – comme son nom le laisse présumer – de tempêtes.

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L’almanach des tempêtes est un livre hybride rassemblant des relevés météorologiques intermittents et couvrant des périodes irrégulières ; des descriptions de tempêtes, prétendant parfois à l’objectivité mais relevant le plus souvent du ressenti intime ; ou encore des témoignages, anecdotes et légendes. Ces différents textes se succèdent et parfois se télescopent, sans organisation apparente ni cohérence, dans une grande diversité de styles. Il est difficile d’établir si l’auteur, Albert Abberline, a rédigé tout ou partie des textes, ou s’il n’a procédé qu’à leur recueil.

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Après avoir cédé à un sommeil rapide aux premières heures du jour, nous sortîmes constater l’étendue des dégâts. Dans la cour, le WC avait perdu les ardoises de son toit, et une grande quantité de feuilles et de débris divers, bois, écorce, ardoises – celles du WC sans doute -, se concentrait au pied du mur est. Sur le grand terrain au sud de la cour, le vieux chêne ainsi qu’une dizaine de pommiers étaient couchés, racines à l’air ; les clapiers en bois s’étaient écroulés comme des châteaux de carte, et leurs occupants semblaient s’être tous volatilisés. Mais le plus stupéfiant était la présence de morceaux de granit, alors même que les seules constructions aux alentours étaient en briques, et qu’en toute hypothèse, leur dimension semblait exclure qu’ils aient pu voler, même au plus fort de la tempête.

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L’étrangeté de l’ouvrage tient aussi à son aspect formel : seul le verso des pages est imprimé, de sorte que lorsqu’on le feuillette sans l’ouvrir complétement, L’almanach des tempêtes semble, au premier regard, vide. Cela pourrait être une erreur d’édition, c’est possible, mais ça parait peu vraisemblable : on imagine mal que le travail de reliure ait abouti sans que personne ne réalise une telle erreur. Cela pourrait également être délibéré, mais alors dans quelle intention ? Une allégorie de la tempête, le vent furieux au recto, l’activité humaine s’abritant au verso ? Le livre n’offre aucune indication à cet égard.

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Aux confins de l’été indien, le vent s’était levé en milieu de journée et avait rapidement forci. Toute la nuit, des vents violents avaient soufflé. Le lendemain matin, les arbres étaient dénudés, le sol jonché de feuilles et la température avait considérablement chuté. La lumière avait changé, le moral aussi. On était entré directement dans l’hiver, sans transition automnale. Par la suite, on désigna cette année comme l’année des 3 saisons.

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L’almanach des tempêtes ne fait référence à aucune date ni autre élément d’ancrage temporel – ce qui d’ailleurs conduit à questionner son titre d’almanach mais passons.  Une confrontation de son contenu avec les relevés météorologiques officiels suggère que les tempêtes qui y sont relatées, et particulier un ouragan, seraient intervenues sur la première décennie du XXème siècle. Pourtant les caractéristiques de typographie, la qualité du papier et la reliure suggèrent une publication antérieure. Cette contradiction apparente contribue bien sûr à l’étrangeté du livre.

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Dedans, pannes, faîtage, fiches et voliges gémissent, crissent, grincent et craquent Dehors, des sifflements parallèles se joignent en un discours d’air L’ouïe est sans répit, l’attention harassée, le sommeil harcelé

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L’almanach des tempêtes évoque des récits convergents rapportés par plusieurs personnes, sorties in extremis mettre à l’abri les derniers outils ou cherchant à observer par la fenêtre les effets de la tempête, par une nuit de nouvelle lune à l’obscurité d’encre : elles auraient assister sur une durée d’une poignée de secondes à la matérialisation du vent en des sortes de milliers de filaments phosphorescents s’enroulant et se déroulant, tourbillonnant dans les angles, s’engouffrant dans le feuillage des arbres, puis disparaissant soudainement. Aucun phénomène équivalent n’a jamais été rapporté en dehors de cet ouvrage.