Chaque mois, retrouvez Pierre Maus dans l’émission Colonne Verbale, une sélection musicale douée de parole. Réalités infimes et fictions dérisoires s’entremêlent à des morceaux oscillant entre électro, groove et jazz.
La contestation fut aussi soudaine que virulente.
Des zones péri-urbaines aux Zones-à-défendre, des quartiers dits populaires aux arrondissements inférieurs à 10 ; notaires et prolétaires, ébénistes et éboueurs, jeunes retraités et jeunes agriculteurs… le gouvernement s’était mis à dos l’intégralité du corps social. Moins d’une semaine après ses annonces, le pays était complètement grippé.
Les manifestations monstres dégénérèrent systématiquement, brigades contre black blocks, queues de cortège en queue de poisson.
Le mouvement des Gilets jaunes n’avait été qu’une version bêta, Matignon s’offrait cette fois la version bestiale, phosphorescente.
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A 78 ans, Yves Parisse, n’attendait rien moins que la dévastation de sa boutique.
Bien sûr, il avait entendu les infos à la radio, et bien entendu, il avait relevé que l’ambiance avait changé au comptoir d’à côté où il avait ses habitudes – un petit noir en fin de matinée, un sauvignon en soirée.
Mais s’étant toujours senti en dehors du système, il avait fini par se croire à l’abris de son chaos. Le spectacle de son commerce ravagé – absurdement ravagé – fut pour lui un choc terrible.
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Yves Parisse avait eu l’opportunité d’ouvrir Parisse Philatélie dans un petit local au milieu d’une ruelle du 9ème arrondissement qui était à l’époque peu fréquentée et comme telle, peu convoitée. La nature de son commerce n’exigeant ni une configuration ni une situation de premier plan, cette adresse lui convint, et les baux se succédèrent sans augmentation majeure de loyer, de sorte qu’une activité minimale lui avait permis de tenir jusqu’alors.
Ironie de la vie, c’est en mars 1968 que la boutique ouvrit, soit quelques semaines avant les manifestations du printemps qui déjà secouèrent la capitale, mais ne lui causèrent en revanche aucun dégât.
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Si la passion d’Yves Parisse pour les timbres était constante, son activité s’érodait depuis des années, en raison d’un faible renouvellement de clientèle notamment. Ce constat, ainsi qu’une certaine lassitude du commerce sans doute, l’avaient porté à entamer une sorte de déstockage. Alors qu’il avait toujours privilégié ce qu’il considérait être la seule pratique valable de la philatélie c’est-à-dire l’attention portée à chaque item, ses détails, son histoire particulière, il avait entrepris ces derniers mois de disposer en vitrine des dizaines de sachets de timbres grossièrement rassemblés par pays : du tout-venant vendu pour quelques euros. Une résolution pour le commerçant qu’il était, une hérésie pour l’esthète qu’il demeurait.
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D’après les premières constations, ce sont les sachets de timbres disposés en vitrine qui s’enflammèrent en premier, lorsque l’engin incendiaire – dont l’enquête de police et les experts d’assurance détermineront la nature précise – atterrit sur le seuil de la porte attenante. Le feu prit ensuite dans une pile d’anciens numéros d’Echo de la Timbrologie stockée à proximité, puis se propagea au comptoir.
Aux destructions causées par ces quelques minutes d’incendie, s’ajoutèrent les dégradations, bien plus importantes encore, liées à l’intervention des pompiers qui se trouvaient justement à proximité, par chance, pour l’immeuble.
Bizarrement, ce ne fut pas l’idée de disparition d’une partie littéralement inestimable de sa collection qui affecta le plus immédiatement Yves, mais la vue de l’enseigne initiale Parisse Philatélie, gondolée et noircie en son milieu d’une manière telle qu’on lisait désormais Par---élie.
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La passion d’Yves Parisse pour les timbres provenait en fait de son admiration pour son oncle qui travaillait à l’Agence comptable des timbres coloniaux. Ce tonton célibataire, au demeurant peu enclin à la philatélie, était en effet amené à se rendre régulièrement dans les colonies pour son travail. Ces allers-retours dans des contrées perçues comme mystérieuses, firent forte impression sur le jeune Yves qui, plutôt mal dans sa peau, vivait la campagne Lorraine comme une réclusion. Entre deux visites de ce fonctionnaire aventurier, Yves Parisse projetait tout son imagination sur les spécimens au noms et illustrations exotiques qu’il ne manquait jamais de lui ramener de ses voyages. Et c’est ainsi que la flamme de la philatélie s’alluma chez lui.
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La vie d’Yves Parisse ne fut alors plus rythmée que par les découvertes, achats et échanges de timbres. Son cercle d’amis se confondait avec celui des confrères et collectionneurs. Il se jeta à corps perdu dans la contemplation de dentelures, burelages et oblitérations.
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A 78 ans donc, face à sa boutique devastée, Yves Parisse vit son reflet dans ce qui restait de la vitrine. Il se perçu comme un Didier Raoult poussiéreux, et s’interrogea sur le sens de cette existence qu’il avait menée, à l’abri de tout et tout le monde, focalisé sur des objets aussi dérisoires et aujourd’hui désuets que les timbres. Mais était-il possible qu’on lui en veuille pour cela ?
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Yves Parisse arriva à la conclusion que ses intérêts, son mode vie, son univers incarnaient un monde oblitéré, ce « monde d’avant » porté par ce gouvernement et tous les précédents, empêchant l’avènement du « monde d’après » et conspué pour cela. C’était sûrement cette raison que des manifestants en colère avaient visé sa boutique.
A moins que son infortune ne soit que le fruit du hasard.
Alarm Will Sound - Logon Rock Witch (Aphex Twin)
Tied & Tickled Trio - Henry + The Ghosts
Nôze – Cinq (fade out vers 5’10)
Clutchy Hopkins – Horny Tickle
Triosk – Tomorrowtoday (part 2)
Golden Teacher – Diop
Tortoise – The Suspension Bridge At Iguazu Falls'' from the Tortoise
John McFarland – Head Hunters
Eddie Sauter & His Orchestra – A Afternoon (feat. Stan Getz)
Andromeda Mega Express Orchestra – J Schleia