Chaque mois, retrouvez Pierre Maus dans l’émission Colonne Verbale, une sélection musicale douée de parole. Réalités infimes et fictions dérisoires s’entremêlent à des morceaux oscillant entre electro, groove et jazz.
Tracklist :
Magic in Threes – Dark Cinema
Psyche – Kuma
Unknown Mortal Orchestra – The Widow
Don Pullen, Sam Rivers – Joycie Girl
Misha Panfilov – Draw Us Here
Alabaster Deplume – Salty Road Dogs Victory Anthem
Brahja – Qwikness
Florian Pellissier Quintet – Coup de foudre à Thessalonique
Per Husby Septett – The Peacemaker
Chip Wickham – The Hit
Ils se considèrent comme une société savante et agissent en société secrète.
Secrète, parce qu’inconnue des non-initiés. Ses membres se réunissent régulièrement mais ils dissimulent leurs activités.
Savante, parce qu’ils « [font] souffler un vent nouveau sur la linguistique » – du moins c’est ce que leur devise indique.
Ils sont la Confrérie du Trouble Sens.
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On parle de « double sens » lorsque des termes univoques à l’écrit, revêtent donc un double sens à l’oral : la signification littérale, correspondant à l’écrit ; et une autre signification, induite par l’homophonie des termes en question :
- Tu es le père ;
- Nouveau-né ;
- Un juste milieu ;
- Etc.
Les membres de la confrérie croient à l’existence au sein de ces doubles sens, d’un sens additionnel, comme une médiane joignant les deux autres. La confrérie s’est ainsi construite autour de l’idée que la production écrite recèle des messages qui dépassent ces doubles sens, des messages cachés, abscons mais fondamentaux ; non pas un triple sens, un trouble sens.
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L’activité de la confrérie s’organise autour de 3 grandes tâches.
La première repose sur l’identification des doubles sens. La tâche est immense puisque tout texte – journaux, romans, brochures commerciales, etc. – est susceptible d’en abriter. En revanche, la confrérie se limite à la langue française pour des raisons évidentes. Chaque membre s’emploie donc, entre chaque réunion, à exploiter le plus grand volume de texte possible afin d’y déceler des doubles sens : ce sont les contributions. Cette phase, les membres de la confrérie l’appellent, non sans une certaine espièglerie, l’orpaillage.
La deuxième tâche consiste à trouver les Trouble sens qu’il convient de donner aux doubles sens préalablement identifiés. Cette phase, se déroule à l’occasion des réunions de la confrérie, et prend la forme de débats. Les membres ne sont toutefois autorisés à prendre la parole qu’après avoir contribué à hauteur de cent doubles-sens, mais c’est le dernier membre en date qui a le dernier mot sur les Troubles sens à retenir. L’ordre du jour compte autant de points que de contributions rapportées par les membres, et la réunion ne se termine que lorsque celui-ci est épuisé.
La troisième tâche vise à tisser des liens entre les Troubles sens, à les assembler selon le plus de combinaisons possibles, afin de trouver leur sens global. L’édifice textuel qui en résulte, appelé Max Sens, est donc en perpétuelle croissance et recomposition puisque chaque réunion apporte son lot de nouveaux Troubles sens. Ce travail particulièrement complexe et chronophage et aussi le plus noble : il revient à celui qui détient le record de contributions, soit, en pratique, son membre le plus ancien, lequel, en pratique, est à la retraite et peu s’y consacrer à plein temps.
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Si la Confrérie du Trouble Sens postule l’existence d’un sens global revêtu par l’ensemble des Troubles Sens, ils ne préjugent pas de ce qu’il sera : prédiction de l’avenir, loi de la nature, révélation métaphysique, etc. La croyance dans l’existence d’un sens précède la croyance en celui-ci.
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Au cours de son histoire la Confrérie du Trouble Sens a connu deux principales controverses. L’une concernait l’opportunité de prendre en compte les doubles sens délibérés : pour les uns, il convenait d’exclure la poésie dans son intégralité, mais aussi Raymond Devos ou Libération et le Canard Enchainé, afin de ne retenir que les doubles sens fortuits, seuls porteurs, selon eux, de véritables Troubles sens ; pour les autres tout double sens méritait d’être considéré pour contribuer à l’élaboration du Max Sens. Ces derniers l’emportèrent à l’occasion d’un vote.
L’autre controverse, dont la précédente n’est finalement qu’une résultante, réside dans la question de l’origine de la dissémination des Troubles Sens dans les textes et de l’éventuelle existence d’un auteur du message que le Max Sens cherche à révéler. En substance : faut-il y voir du divin ou une force créatrice sui generis, existant per se. Le débat, quoiqu’essentiel, n’est toujours pas tranché, mais les membres de la confrérie se sont accordés sur différents points de doctrine qui permettent de concilier les deux conceptions : s’agissant de la précédente controverse par exemple, il est permis d’admettre les doubles sens créés délibérément, puisque pour les uns ils sont aussi légitimes que les fortuits pour alimenter le Max Sens, et pour les autres le divin guide la plume de leurs auteurs.
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La Confrérie du Trouble Sens a choisi pour symbole, une paire de seins, représentant le double sens, et un bol, symbolisant la récolte du lait des lettres.
Le tatouage du symbole est un rite initiatique conditionnant l’accès au statut de membre de la confrérie.
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Les membres de la confrérie n’entretiennent aucune discussion qui n’ait de rapport avec leur objet, et ne se connaissent que sous l’alias que chacun s’est choisi. Marinier, par exemple, n’évoque jamais ses problèmes de couple – lesquels ne font d’ailleurs que s’empirer à mesure qu’il s’investit dans le travail et les réunions de la confrérie.
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En tant que société secrète, la Confrérie du Trouble Sens ne communique pas sur ses activités. Pas question ici d’être l’objet d’un marronnier pour un hebdo.
Ce sont ses membres qui approchent les futurs autres membres, recrutés principalement parmi les chercheurs en sémantique et en linguistique.
Si la charte de la confrérie insiste sur son caractère mixte, seules quelques femmes ont acquis le statut de membre, pour des raisons qu’il conviendrait d’étudier.
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Entrefilets, dépêches, tout est capturé par la Confrérie du Trouble Sens.
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Viendra un jour où le travail de la confrérie aboutira, c’est-à-dire que le sens global des Troubles sens émergera. Alors celui-ci sera révélé au public. Les membres désignent ce jour comme celui de la Grande Révélation.
Épisode réalisé par Pierre Maus.
