Colonne Verbale

Colonne Verbale #3 - De la coupe au bol

Colonne Verbale #3 - De la coupe au bol

Chaque mois, retrouvez Pierre Maus dans l’émission Colonne Verbale, une sélection musicale douée de parole. Réalités infimes et fictions dérisoires s’entremêlent à des morceaux oscillant entre electro, groove et jazz. A écouter chaque premier jeudi du mois à 21h.

La tracklist :

  • Ex-Olympian - Netherworld Boogie
  • Surprise Chef - New Ferrari
  • D.N. Hürter - Shigeo Sekito
  • Pipe-Eye - Ancient 5G Aliens
  • L'Eclair - P+R
  • Magic In Threes - Up in the Market
  • Cold Diamond & Mink - Living It Up (Instrumental) 
  • Brainstory - Vortex
  • Flying Lotus – Crust
  • Kiefer – crybaby 
  • BADBADNOTGOOD feat. Arthur Verocai - Beside April
  • Hampshire & Foat - The Upturned Glass, Pt. 2
  • Sven Wunder – Snowdrops

Ce n’est pas à proprement parler un marronnier : un marron germé tout au plus.  A l’approche de la finale de la coupe du monde de football, des journaux recyclent parfois l’histoire de son trophée, conçu au sein d’une PME italienne il y a un demi-siècle et réalisé depuis lors par ce même atelier. L’arrière-petite fille du fondateur de l’entreprise est, aujourd’hui encore, aux commandes de cette affaire on ne peut plus remarquable.

En miroir de ce succès, Marie Richard, 38 ans, a pris depuis quelques mois la direction des Ateliers Richard, la boutique que son grand-père avait inaugurée dans les années soixante route de Culmar à Monterrand. Si les membres de la famille ont su faire évoluer l’affaire au cours des années, les affaires ne sont justement plus ce qu’elles étaient.

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Route de Culmar les Ateliers Richard attirent l’œil. Marie a fait démonter les panneaux apposés en fronton dans les années 80 afin de restaurer l’enseigne initiale arborant fièrement le nom de l’entreprise dans la police de caractère Choc. Douée par ailleurs de ce que l’on pourrait qualifier d’intelligence du merch, Marie a eu l’idée de faire de la vitrine démesurée du magasin, le lieu de stockage des coupes. Ainsi agencées par centaines et savamment éclairées, ces coupes évoquent, lorsque l’on passe en voiture, ces bancs de poissons illuminés par des rayons de soleil sous-marins.

Malheureusement le commerce des trophées ne répond pas aux ressorts de l’achat impulsif.

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Evidemment, l’activité de fabrication de coupes subit, comme beaucoup d’autres activités commerciales, une concurrence féroce de la part des grandes enseignes et autres compétiteurs en ligne.  Dans ces conditions, on s’en doute, Marie vit la transmission familiale à la fois comme une fierté et un fardeau, une fatalité janussienne.

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Dans le contexte concurrentiel que l’on sait, la perte de valeur pécuniaire des coupes a, de manière frappante, rabaissé leur valeur symbolique. Par le passé, personne n’aurait envisagé de choisir un trophée en raison de sa laideur et d’y faire apposer une inscription potache. Se débarrasser d’une coupe était impensable ? Désormais les abandonner en déchèterie ou recyclerie est OK.

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Si Marie a à cœur de faire perdurer l’héritage familial des Ateliers Richard, et avouons-le, de la marketer, elle n’éprouve aucune forme de nostalgie pour les techniques les plus artisanales de gravure. Burin, fraise ou laser, en fait de trophée il n’y a que le résultat qui compte.

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Marie Richard a souvent réfléchi à la manière dont il conviendrait de traiter la commande d’une coupe de la plus belle coupe. Une des idées lui revenant de manière récurrente consiste en la représentation de la coupe sur elle-même, représentation elle-même enchâssée de sa propre représentation et ainsi de suite jusqu’aux limites dictées par les techniques de gravure. Une telle coupe pourrait-elle alors remporter la compétition qu’elle vise à récompenser ?

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Dans une vidéo Youtube, Marie Richard insiste sur la spécificité de l’action de graver une coupe, laquelle transforme un objet générique en une récompense.

Elle dit percevoir, dans la solitude de l’atelier, l’écho du succès auquel cette coupe sera associée.

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Lorsque l’on cherche des informations sur les Ateliers Richard, on trouve un avis Google en date du 07 Juillet 2018 de MATTHIEU B.

« Commentaires du client :

finition très moyenne certains trophées étaient fêlés heureusement que nous en avions commander plus que nécessaire »

Marie Richard n’a jamais répondu, ni cherché à obtenir la suppression de ce message qu’elle considère calomnieux. Plus encore que la concurrence en ligne, cet avis Google incarne pour elle la perfidie d’internet.

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Tous les trophées ne sont pas des coupes, ni toutes les coupes des trophées. En outre toutes les coupes n’ont pas la forme de coupe, tandis que les trophées n’ont pas de forme prédéfinie - point trop n’en faut.

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Les Ateliers Richard ont été les témoins de toutes sortes d’honneurs et de distinctions marquant tantôt la fulgurance d’un talent, tantôt le mérite à l’usure d’une carrière longue comme un jour sans pain, dans tous les champs : sport, politique et arts pour n’en citer que quelques-uns. Avec des victoires et des titres aux noms fleuris : des plus classiques : « Champion départemental de twirling bâton » ; au plus singuliers : « 1er Prix régional d’excellence – concours de la meilleure paupiette 2021 ». Aux Ateliers Richard, on a toujours traité tous les honneurs avec la même déférence.

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Ramener la coupe à la maison

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Un entrefilet dans quelque PQR relate l’histoire invraisemblable d’un confrère qui, ayant cessé son activité, prétendait avoir inversé des lettres, inséré des fautes d’orthographe et même parfois des insultes sur les trophées qu’il personnalisait, chaque fois qu’il trouvait la discipline – généralement sportive – détestable. Personne ne lui avait fait de réclamations. Qu’en déduire ? Est-il possible que personne n’ait jamais lu les inscriptions sur les coupes ? Que des trophées avec des insultes trônent sur des cheminés depuis toutes ces années ?  

Pierre MAUS

L'Eclair - Confusions · Artwork: Chloé Pannatier