Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est le représentant en France.
Bonjour Victor Wahrem ! Aujourd’hui, vous allez nous parler des leçons que vous tirez de l’AI Action Summit, cette semaine de rencontres et de conférences sur l’IA qui vient de se clore à Paris.
Oui, Laurence, l’AI Action Summit s’est officiellement terminé mardi et ce fut pour le moins un grand moment pour le rayonnement de la France, voire de l’Europe, sur la thématique de l’intelligence artificielle.
J’ai donc dans ce cadre eu la chance de rencontres maintes chercheurs, entrepreneurs, think-tankers, industriels et décideurs publics à Polytechnique la semaine dernière, mais également à l’École militaire, ou à Station F cette semaine.
Une semaine extrêmement riche, il semblerait ! Et qu’en tirez-vous comme première conclusion ?
Ma première conclusion, Laurence, est que c’est au global un coup de com’ vraiment réussi de la part de l’Elysée qui a été à la manœuvre sur ce sommet.
Entre l’arrivée de l’application d’IA « Le Chat » de Mistral AI juste avant le sommet, qui s’est hissé directement à la première place en termes de téléchargement sur l’Appstore, rendant plus d’un Français et d’un Européen fiers ; ou l’annonce de 109 milliards d’investissements privés en France – notamment pour construire des data centers d’où le fameux « plug, baby, plug » lancé lundi par Macron au Grand Palais – ; ou enfin l’annonce de 200 milliards d’euros de partenariats public-privé dans l’IA par Ursula von der Leyen dans la foulée, on peut bel et bien affirmer que l’écho global de ce Sommet est plutôt positif et que l’enthousiasme sur le terrain en découlant fut bien réel à l’occasion de ces journées exceptionnelles. Et Dieu sait que cet optimisme fait du bien !
Mais je sens qu’il y a un « mais », Victor Warhem.
Vous commencez à bien me connaitre ma chère Laurence !
Mais, en effet, en matière de diplomatie, on ne peut pas dire que la France a brillé alors qu’elle a toujours eu ce rôle de catalyseur de grandes décisions en matière de régulation internationale.
Ainsi, les Etats-Unis et leur fidèle serviteur le Royaume-Uni n’ont pas signé la déclaration du sommet, sur l’IA soutenable et inclusive. Par ailleurs, aucune annonce concernant un GIEC sur la sécurité de l’IA n’a été faite. Pas d’annonce non plus à propos d’un fonds dédié au développement d’une IA de confiance. Néanmoins, sur un point crucial, l’utilisation de l’IA dans un contexte militaire, une ébauche de régulation internationale a été dessinée, réunissant 25 pays signataires, et insistant sur la nécessité vitale de toujours garder « un humain dans la boucle » en matière de systèmes d’IA quasi-autonomes.
On nous promettait ainsi la science, les standards et les solutions, mais il est clair que le Sommet s’est finalement plutôt concentré sur le dernier volet, les solutions, avec une démonstration de force recherchée par le gouvernement en matière d’IA.
Et est-ce que cette démonstration de force fut un succès ?
Tout a été fait pour mettre en avant le savoir-faire français en matière d’IA. Nos « 750 startups de l’IA » – je mets des guillemets car j’ai vu la liste et toutes ne sont pas centrées sur l’IA ne même de réelles startups – ont eu une plateforme unique pour capter une audience internationale.
Dans ce domaine, je vous le confirme donc, Laurence : la France va probablement mener à long-terme en Europe en matière d’intelligence artificielle. À titre d’exemple, les startups françaises, notamment dans l’IA, sont tellement nombreuses et solides qu’elles représentent toujours la plus grande proportion – environ 20% - des cohortes de startups financés par les fonds européens du European Innovation Council, l’EIC, spécialisé dans l’innovation de rupture. C’est une proportion loin devant tous les autres pays européens.
Très bien mais je sens qu’un deuxième « mais » est en route !
En effet, malgré ces atouts, il ne faut pas se reposer sur nos lauriers, en France comme en Europe.
Nous avons des forces. Néanmoins, nous devons non seulement capter les investissements privés pour faire de beaux data centers, mais également chercher à maitriser l’ensemble de la chaine de valeur de l’IA : semi-conducteurs, AI factories et data centers, modèles de fondation, applications et agents d’IA, et enfin distribution.
Or, aujourd’hui, la France et l’Europe sont positionnées pour performer le mieux sur le volet « applications », et trop peu est fait pour préserver notre souveraineté technologique sur l’ensemble de la chaine. Nous pourrions financer l’élaboration et la production de nos propres puces de nouvelle génération, nous pourrions également chercher non seulement à réduire davantage encore le pouvoir des GAFAM dans la production et la distribution des IA, mais également nous lancer dans la création de nos propres alternatives, il n’est jamais trop tard en la matière. Enfin, nous devrions avoir plus d’entreprises de modèles de fondation comme Mistral AI, afin d’entretenir un véritable écosystème européen d’IA génératives. Deepseek a prouvé que cela ne couterait pas tant que cela.
Tout un programme ! Il reste donc beaucoup à faire.
Oui, Laurence, les milliards ne font pas tout ! il faut également chercher la maitrise des chaines de valeur des technologies stratégiques au moment où l’innovation accélère notamment grâce à l’IA, mais aussi au moment où les Américains ne sont clairement plus amicaux à notre égard, et que les Chinois sont probablement en passe de les remplacer comme nouvel hegemon mondial, ce qui ne va pas nécessairement faire notre affaire.
Donc, plus que l’autonomie stratégique, c’est bien l’heure de la souveraineté technologique européenne qui doit arriver, et l’IA a tout pour être un tremplin en matière.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.