Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est le représentant en France.
Bonjour Victor Wahrem ! Aujourd’hui, vous allez nous parler de la stratégie concernant l’Union de l’investissement et de l’épargne dévoilée hier par la Commission européenne.
Oui Laurence, la stratégie dévoilée hier concernant l’Union de l’investissement et de l’épargne, le nouveau nom en réalité de ce serpent de mer qu’est l’Union des marchés de capitaux lancée en 2015, comporte quelques éléments remarquables, tout en arrivant à un moment particulièrement stratégique pour l’Union européenne.
Intéressant ! Quels sont ces éléments ?
Globalement, la stratégie propose d’améliorer l’accès des investisseurs, petits et grands, aux entreprises européennes en besoin de financement, grâce notamment à des « comptes et produits d’investissement et d’épargne » européens, taxés probablement de manière harmonisée à l’échelle de l’Union. Cette harmonisation fiscale devrait également concerner beaucoup d’autres produits financiers.
Il est également question d’acculturer les Européens au risque, eux qui préfèrent généralement laisser leur épargne végéter dans des produits sans rendement réel – comme le livret A par exemple – ou l’envoyer aux Etats Unis lorsqu’ils veulent du rendement – à hauteur de 300 milliards par an tout de même.
Le développement des fonds de pension, qui viendront alimenter une retraite par capitalisation notamment, sera favorisé et c’est un point essentiel pour créer une profondeur de marchés en euro suffisante, en plus de l’essor des eurobonds et d’autres obligations souveraines, les allemandes en particulier.
Enfin, l’Europe fait également un pas crucial vers l’intégration financière avec la proposition à venir d’une supervision unifiée des marchés de capitaux européens.
Et tout cela arrive à point nommé !
Pourquoi, Victor Warhem ?
Tout d’abord parce que la constitution d’une Europe de la défense à coup de centaines de milliards d’euros avec le plan allemand et ReArm Europe, tous deux récemment annoncés, ne se fera pas sans une mobilisation accrue des capitaux privés en Europe.
En élevant la demande intérieure avec ces plans, aboutissant à une expansion de la base industrielle et technologique de défense européenne, nous améliorons également les incitations à l’investissement privé dans ce domaine – puisque le secteur privé adore le derisking public, qui génère en général un bon couple rendement-risque.
Néanmoins, notre niveau d’intégration financière réduit pourrait compliquer la participation de ce secteur privé à cet effort de défense. C’est donc le bon moment pour proposer des avancées sur ce dossier financier.
Je comprends, cela explique le fait que la stratégie ait été annoncée en même temps que le livre blanc sur l’avenir de la défense !
Et cela n’est pas tout.
Il s’avère qu’il y a une sorte de conjonction des sphères en raison de la politique commerciale de Trump que devrait en retour affecter l’ordre monétaire international en renforçant notamment le rôle international de l’euro, ce que l’Union de l’investissement et de l’épargne pourrait d’autant plus faciliter.
C’est donc plus que le bon moment ! Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par là, Victor Warhem ?
Depuis quelques jours en effet, l’administration Trump semble vouloir mettre en œuvre ce qu’elle qualifie d’« accord Mar-A-Lago ».
Cet accord souhaite plus ou moins reproduire le succès de l’accord du Plaza de 1985, qui consistait pour les puissances alliées des Etats Unis à vendre massivement des bonds du Trésor américain pour réduire la demande de dollar, dépréciant ainsi la monnaie internationale de référence sans menacer son statut hégémonique, tout en améliorant la balance commerciale déficitaire américaine.
Ici, l’administration Trump souhaite déprécier le dollar en forçant les puissances, notamment l’Union européenne, à vendre de nouveau leurs bons du Trésor américain, cette fois-ci en l’échange de la protection militaire américaine et de droits de douane réduits – du Trump tout craché en somme. Si les puissances ne coopèrent pas, elles subiront des droits de douane plus élevés. C’est donc un accord moins favorable que celui du Plaza.
De cette manière, l’administration américaine espère en effet avoir le beurre et l’argent du beurre, évidemment :
Tout d’abord un dollar faible mais restant dominant à l’échelle internationale car, soi-disant, les investisseurs ne veulent pas autant de l’euro en raison de la fragmentation de la zone, ni du yuan en raison des contrôles de capitaux chinois.
Mais également un rétablissement de la balance commerciale grâce à une hausse de la production manufacturière générée par des investissements étrangers espérés massifs en raison des droits de douane.
Mais il est fort à parier que cet accord va surtout effrayer les investisseurs qui y verront un retour d’un contrôle des capitaux, et un autre témoin de l’incertitude entourant la politique de Trump, puisqu’il pourrait de nouveau instrumentaliser les droits de douane dans de nouveaux contextes.
Et donc, comment cela pourrait concrètement profiter à l’euro ?
Avec les plans précédemment mentionnés et cette politique délirante de l’administration Trump, l’attractivité de l’euro comme monnaie internationale de référence s’est renforcée sur deux plans : sa profondeur de son marché et sa lucrativité relative.
En effet, les investisseurs voient désormais une zone euro avec de meilleures perspectives de croissance et donc de rendement financier – d’autant plus facilité par le derisking prévu -, plus de liquidités en euro, et une liberté des flux financiers ainsi qu’un respect de l’Etat de droit que l’administration Trump semble remettre en question.
C’est pourquoi il faut absolument saisir la balle au bond avec l’Union de l’investissement et de l’épargne, et ne pas faire les choses à moitié.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.