Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, Élise Bernard décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L’État de droit ce sont des législations qui poursuivent des objectifs politiques, c’est pour ça que l’on peut le qualifier de plus ou moins social, mais est-ce qu’on peut dire qu’il respecte le clivage droite-gauche ?
Pas forcément et même sur des sujets que l’on estime traditionnellement clivants entre partis de gauche et partis de droite.
En matière d’immigration par exemple.
Ah oui, les choses changent on dirait à ce sujet. Voyez : avec la grande crise de l’accueil des migrants en 2015 la droite radicale européenne et son chef de file, Viktor Orban, ont pu nourrir leur dynamique électorale. L’opposition à toute immigration est claire et nette.
Oui mais on a bien vu que migrations, immigrations, cela ne recouvre pas les mêmes politiques.
Ni les mêmes réalités ! et là, on constate que la question bouleverse les certitudes des familles politiques. La Première ministre italienne Giorgia Meloni : on réalise qu’elle ne pourra pas compter sur la solidarité du gouvernement polonais pourtant de la même famille au Parlement européen (les réformistes conservateurs européens).
Oui parce que le PiS ne veut pas entendre parler de partage de responsabilités en termes d’accueil.
Eh oui, je précise : l’accueil d’urgence. Le volet sécurité intérieure de la migration, on sait que l’Italie est en première ligne et dépassée, matériellement et en ce qui concerne l’espace. Beaucoup de personnes réunies en un endroit réduit, c’est dangereux, peu importe le pays d’origine, ou la religion. De telles conditions ne permettent pas d’assurer les droits fondamentaux de sûreté et de dignité humaine : et cela n’a rien à voir avec la politique.
Giorgia Meloni a besoin d’alliés pour une partage des responsabilités en termes d’accueil d’urgence, pas vraiment en matière de politique favorable à l’immigration.
Eh oui, on peut être favorable à une politique encourageant l’immigration, pour des raisons de population vieillissante ou manque de main d’œuvre on l’a vu, tout en étant déterminé à lutter contre les trafics d’êtres humains.
Oui à l’inverse, ce n’est pas parce qu’on est favorable à l’immigration qu’on est satisfait du fait que des passeur·ses gagnent de l’argent en surchargeant des canots voguant à l’aveugle sur la Méditerranée.
Exactement. Ce qui se joue c’est le destin de l’Europe comme communauté politique. En ce qui concerne les difficultés à apporter à la détresse de ceux qui cherchent une vie meilleure sur les rives européennes. Mais aussi en ce qui concerne les inquiétudes croissantes des opinions publiques européennes. Des citoyen·nes ne se sentent pas en sécurité. Des migrant·es ne se sentent pas en sécurité. Il faut revoir la politique de sécurité en matière d’accueil d’urgence, c’est assez simple à comprendre. Si le PiS estime qu’il a trop de chômage sur son territoire et que de nouveaux aspirants travailleur·ses risquent de rendre le marché du travail trop concurrentiel. Très bien. Est-ce que cela veut dire qu’il faut laisser ses partenaires politiques d’Europe débordés en matière de sécurité aux frontières. Visiblement oui.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.