Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, Élise Bernard décrypte chaque semaine sur euradio les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L’État de droit, c’est le droit applicable pour tous mais comment l’Union s'organise à l’heure de faire face à des drames humains, comme à Lampedusa il y a quelques jours ?
Dans tous les cas, c’est un enjeu majeur pour l’Union européenne : qu'on y voie une menace civilisationnelle, un défi économique, ou une ardente obligation morale les questions de migrations appellent des réponses.
Cette cacophonie est alors due à la pluralité de réponses !
Oui, c’est à celui qui répondra le plus fort ! On en a déjà parlé, sur ce sujet, notre société européenne révèle aussi bien nos forces et nos failles démocratiques. Ce qui est inquiétant c’est que ces drames ne découragent pas les candidats à la migration : cette année 2023 s’annonce comme celle qui va enregistrer le plus grand nombre de demandeurs d’asile en Europe, depuis 2015.
En fait, on se trouve submergés de réponses à la crise de l’accueil, parce que chacun voit midi à sa porte !
C’est quand même grave au point que ces désaccords dans les réponses opposent les États membres entre eux et déstabilisent même les gouvernements.
C’est ce qui s’est passé aux Pays-Bas ?
Exactement, le débat national se concentrait sur les conditions du regroupement familial. Donc on est quand même sur plusieurs années après l’accueil d’urgence et la réalité de Lampedusa. Eh bien réglementer sur le regroupement familial des étrangers avec titre de séjour a entrainé la chute du gouvernement de Mark Rutte. Cette question sera au centre du débat lors de la prochaine élection législative de novembre 2023, avec possiblement l’extrême droite dans la prochaine coalition.
Cela peut aussi s’expliquer par la crise du logement que subissent les Pays-Bas ?
Oui, crise migratoire il y a à partir du moment où cela vient aggraver un problème connu et non solutionné en amont. Les Pays-Bas sont un pays très dense en population, ce n’est pas neuf. Donc une augmentation du nombre de demandeurs d’asile fait saturer les capacités des centres d’accueil. C'est visible, les électeurs néerlandais le vivent au quotidien et en tirent des conclusions différentes.
Ah oui c’est là que l’un va se dire, il y a trop de demandeurs d’asile et l’autre va se dire, il faut construire de plus grands centres d’accueil.
Exactement, en France on parle sans cesse de métiers en tension, mais un permis de travail ce n’est pas de l’asile politique et si cette dernière procédure est facilement accessible, obtenir un permis de travail apparaît comme impossible quand on n’est pas un citoyen de l’UE. En fait, la réaction face aux drames liés à la migration clandestine révèle les incohérences au point d’en oublier les principes fondamentaux de l’État de droit !
Se poser des questions est une chose, y apporter des réponses en est une autre !
Et c’est là que c’est dur ! Qui a à gagner à dépenser de l’argent pour les conditions d’accueil d’urgence des migrants de Lampedusa ? Je pense sincèrement que beaucoup ne répondent pas honnêtement à cette question et en ne le faisant pas, ils mettent à mal l’État de droit qui les protège et auquel ils sont attachés.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.