À propos d’Elise Bernard : Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L’État de droit c’est faire en sorte que chacun·e puisse invoquer ses droits, on l’a vu, mais c’est aussi être soumis au même droit que tous·tes, quel que soit son statut.
Absolument, on parle beaucoup des mises en examen de ministres en France, ou de l’enquête de la police belge à propos du Qatargate, mais aussi du fait que l’ancien Premier ministre tchèque Babiš comparaisse devant un juge. C’est ça la meilleure preuve du fonctionnement de l'État de droit.
Oui on est bien d’accord que jouir d'une certaine influence ne protège pas automatiquement de la justice.
Voilà, si l’enquête est concluante, et c’est plutôt cela qui est difficile à obtenir, l'un des individu les plus puissant et les plus riches du pays se retrouve quand même au tribunal. Les Tchèques se réjouissent donc de cette preuve qu’ils ne vivent pas dans une oligarchie, mais bien dans une démocratie libérale réellement avancée. La presse salue la fin marquée du passé autocratique.
Mais cela plombe quand même sérieusement la carrière politique d’Andrej Babis.
Oui et non. Non parce que cela ne l’a pas empêché de se présenter à l’élection présidentielle de janvier dernier. Il reste une personnalité politique majeure du pays mais sa campagne essentiellement basée sur son refus d’entraîner la République Tchèque dans la guerre en Ukraine n’a pas convaincu. Il se plaint de manœuvres politiques à son encontre.
Cela nuit à son image pas à son droit à se présenter aux élections en fait.
Exactement. Ce chef d’entreprise est surnommé le « Trump tchèque », sa réputation est sulfureuse. Il est soupçonné d’avoir dissimulé qu’il était propriétaire d’une ferme qui lui aurait permis de bénéficier de subventions européennes réservées aux petites entreprises.
Intéressant pour un représentant de la mouvance eurosceptique !
Oui, comme je disais, le problème c’est l’enquête, obtenir des pièces et des témoin·tes à charge, pas le fait que le représentant politique puisse être amené à comparaître. Si la justice tchèque n’arrive pas à exploiter les données permises par le scandale des Pandora Papers, il existe d’autres moyens.
Un·e autre juge peut intervenir pour faire la lumière sur cette affaire lors ?
Exactement, la justice française semble arriver à faire quelque chose des traces des sociétés-écrans situées dans des paradis fiscaux des Pandora Papers. Le parquet national financier, chargé de traquer les grands délits économiques et financiers, enquête actuellement sur les circonstances dans lesquelles Andrej Babis a fait l’acquisition d’une villa dans le sud de la France par l’intermédiaire d’une chaîne de sociétés basées à Monaco et dans les îles Vierges britanniques. Est-ce que cela a eu une incidence sur le scrutin d’il y a deux semaines ? Possible mais en attendant, il est toujours libre d’aller et venir et de prendre la parole en public
Entretien réalisé par Laurence Aubron.