L'état de l'État de droit - Elise Bernard

Zelensky et le discours de l’Amérique trumpiste sur l’Europe

Zelensky et le discours de l’Amérique trumpiste sur l’Europe

Elise Bernard, docteur en droit public et enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque lundi sur Euradio les implications concrètes de l'État de droit dans notre actualité et notre quotidien. Ses analyses approfondies, publiées sur la page Europe Info Hebdo, offrent un éclairage précieux sur ce pilier fondamental de l'Union européenne.

L’État de droit est plus que jamais en danger on avait déjà développé ce point la semaine dernière, mais la rencontre rendue publique entre Zelensky, Trump et Vance, du 28 février, vient encore aggraver cette inquiétude!

C’est vrai que dans cette chronique nous nous intéressons de près aux Etats dits de l’ancien bloc soviétique, maintenant membres ou candidats à l’Union européenne. Il ne fait plus aucun doute qu’ils font office de reflet de ce qui menace le continent.

Clairement, tous ces peuples que leur taille et leur géographie soumis aux mouvements brutaux de l’histoire européenne ont dû se remémorer d’inquiétants souvenirs devant ce spectacle de diplomatie brutale.

Oui, je pense même que l’inquiétude est encore plus intense qu’il y a 3 ans, au moment de l’entrée des chars russe en Ukraine.

L’inquiétude va bien au-delà de - simplement pourrait-on dire - la sécurité..

Evidemment. Jusqu'à cet affreux spectacle, il y avait “l’ami américain”, l’OTAN, et la sécurité collective du continent garantie par la première grande puissance mondiale. Cette dernière pouvait démontrer des interprétations parfois distinctes de l’Etat de droit et des droits fondamentaux mais son exécutif nous a exposé - clairement - que ce temps est de toute évidence révolu.

On peut difficilement faire confiance à un pays qui traite ses alliés comme des vassaux et exerce sur eux une pression de mafieux en faisant payer sa protection.

Voilà, on peut se révolter de ce spectacle et du traitement réservé au président ukrainien par le président Trump et son Vice-Président, devant les caméras du monde entier. Mais cette séquence - “grand moment de télévision” comme le qualifie Trump lui-même - marque la fin d'un monde. Le changement de régime avait été annoncé déjà à la conférence de Munich par Vance et sa vision de la liberté d’expression, il est poursuivi par l’imposition unilatérale de droits de douane pour la guerre économique. Cet échange brutal dans le bureau ovale expose la favorisation de relations bilatérales musclées au détriment des - lentes et trop souvent dénigrées - institutions internationales.

Ces décisions prises publiquement ne peuvent pas laisser de place à des discussions calmes et réfléchies.

Si on s’arrête là - et c’est la position de certains - l’Ukraine n’a plus son mot à dire, son sort est scellé, elle ne peut rien contre les Etats-Unis adhérant à la position russe. Cependant, on ne peut pas dire que c’est le clap de fin, car malgré des garanties insuffisantes, Zelensky et l’Ukraine restent légitimes grâce au soutien européen. Soutien qui repose sur une vision stricte de l’Etat de droit et des droits fondamentaux.

Oui ce n’est pas parce que la nouvelle administration américaine privilégie une politique intérieure populiste que tout est perdu en Europe!

En effet, ce qui fait peur c’est que cette vision très impérialiste des relations internationales a pour conséquence d’affaiblir les relations transatlantiques, et remet en cause le sacro-saint parapluie américain.

Donc la question des 300 000 soldats supplémentaires et 250 milliards d'euros par an en plus dans la défense - à court terme - afin de dissuader toute agression russe en Europe est aussi motivée par le rôle central de notre État de droit.

Elle se pose dans des termes existentiels même : voulons nous être acteurs ou spectateurs de notre destinée ?

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.