À propos d’Elise Bernard : Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L’État de droit est ce qui protège les droits fondamentaux des citoyen·nes mais qui protège l’État de droit face aux attaques ?
C’est une question qui se pose avec une intensité particulière en ce moment. Pour notre génération et certainement pas que en Europe. Le Président du Conseil européen, Charles Michel, à l’occasion de la conférence de Munich sur la sécurité, explique que la crise actuelle ne se limite pas à des moyens militaires à mobiliser ou des alliances entre États. Ce qui se passe, en Ukraine, met en lumière ce que nous constatons depuis plusieurs années : une pression, une remise en cause de l'État de droit et des droits fondamentaux. Elle vient tantôt de l'intérieur, tantôt de l'extérieur.
Une remise en cause n’est pas forcément mauvaise, elle peut peut-être être bénéfique pour nos citoyen·nes et représentant·es.
C’est vrai, c’est là qu’on se rend compte qu’un discours politique nécessite toujours de faire preuve de prudence. Il faut bien percevoir les degrés de compréhension possible.
Mais de quoi parle Charles Michel quand il évoque des pressions sur l’État de droit ?
On peut émettre des hypothèses qui expliquent certaines réactions. Prenons un exemple directement issu de ce même discours : l’État de droit démocratique ne permet pas de prendre de décisions rapides. Ce constat emporte plusieurs réactions : en période de crise (Covid, guerre) cette lenteur est gênante, voire dangereuse. D’autres répondront que c’est prendre des décisions rapides et non concertées qui est dangereux, d’autres diront que cela dépend de la gravité de la crise. Mais qui décide de la gravité de la crise ? Ce à quoi certain·es répondront que c’est untel·unetelle qui décide de tout. Certain·es regretteront l’absence de contrepouvoir. Il faudrait aller plus vite, mais comment ? à quelle occasion ? Ça c’est le contenu d’un débat que je qualifierai de sain, quand on se pose en spectateur·rice.
La pression sur l’État de droit c’est donc la crise qui le remet en question.
À mon avis, la pression vient plutôt des conclusions que certain·es veulent imposer pour répondre à la crise. À l’époque du confinement, j’avais été marquée par un discours que l’on retrouvait, tant depuis des diplomaties étrangères que depuis des réflexions de citoyen·nes. Par exemple, « les démocraties libérales prennent trop de temps à se décider, elles ne décident pas assez rapidement pour faire face à la crise pandémique, les citoyen·nes des régimes démocratiques vont mourir du Covid ! Donc pour faire face au Covid, il faut impérativement renoncer à l’État de droit démocratique. » C’est malheureusement quelque chose qu’on a beaucoup lu et entendu.
Donc on peut imaginer les échanges, auxquels a pu assister Charles Michel, entre représentant·es des États, en forte période de crise, au sein du Conseil.
Tant que le débat se tient, l’État de droit est garanti. C’est à cela que servent les procédures. Renoncer aux procédures c’est mettre en danger nos droits fondamentaux. Tant que ceux·celles qui veulent renoncer aux procédures sont minoritaires, tout va bien. Cela peut amener à imaginer d’autres procédures, peut-être plus rapides en fonction des circonstances. La remise en cause, comme vous le disiez, peut être bénéfique. Ce n’est pas sûr mais c’est toujours plus sûr que d’être persuadé que notre État de droit est dangereux, parce qu’elle est là l’attaque la plus blessante.
Donc la meilleure protection aux attaques à l’État de droit c’est de ne jamais renoncer aux droits fondamentaux mais toujours discuter de leurs modalités en fonction des circonstances.
Voilà, c’est particulièrement bien dit !
Entretien réalisé par Cécile Dauguet.