Elise Bernard, docteur en droit public et enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque lundi sur Euradio les implications concrètes de l'État de droit dans notre actualité et notre quotidien. Ses analyses approfondies, publiées sur la page Europe Info Hebdo, offrent un éclairage précieux sur ce pilier fondamental de l'Union européenne.
L’Etat de droit, on en a parlé plusieurs fois, ce sont des élections libres, des votes des citoyens pour amener à désigner le représentant qui leur semble le plus légitime, mais on est un peu troublés quand c’est une personnalité inconnue qui sort du lot.
Oui Laurence, c’est une situation qui semble se répéter de plus en plus souvent. Il y avait déjà eu le cas Syriza, parti de la gauche radicale grecque, arrivé au pouvoir avec Alexis Tsipras en 2015. Le phénomène est retombé et Syriza est même repassé derrière le grand rival socialiste PASOK. Mais on le sait depuis le Brexit, les nouvelles formes de populisme numérique peuvent avoir des conséquences bien plus lourdes que le destin d’un parti d’opposition grec.
C’est ce que l’on peut craindre avec le premier tour de l'élection présidentielle en Roumanie, avec l'ascension spectaculaire de Călin Georgescu candidat nationaliste d'extrême droite prorusse?
Stupeur même ! le Premier ministre, favori de l’élection, Marcel Ciolacu, est relayé à la troisième place, juste derrière Elena Lasconi (centriste de USR). Ça signifie qu’avec une campagne axée sur les réseaux sociaux, et particulièrement TikTok, Georgescu a réussi à capter un électorat jeune souvent éloigné des urnes. Il n’a a priori pas attiré les électeurs des autres camps.
Ce n’est pas totalement surprenant, les élections européennes de juin dernier ont vu des candidats acquérir un siège après une campagne menée exclusivement sur les réseaux sociaux.
Oui, un député européen de Chypre et un d’Espagne. Anecdotique, vu le nombre total de sièges au Parlement européen mais effectivement, on pouvait voir arriver quelque chose d’inattendu. Le succès de C. Georgescu suscite des préoccupations parce que la Roumanie n’a pas franchement pour réputation d’être pro-russe… bien au contraire. Cela signifie que ce candidat s’est fait mieux voir et donc probablement sans respecter les règles imposant l'équilibre dans la visibilité des candidats en campagne.
Cette élection roumaine prend une dimension géopolitique majeure car le président de la République roumaine, qui siège au Conseil européen, s’il est pro-russe va s’opposer aux dépenses de défense, sans parler du soutien à l’Ukraine!
Oui Laurence, la Roumanie joue un rôle stratégique dans le conflit, tant pour l’OTAN, dont elle abrite plus de 5000 soldats, que pour le transit des céréales ukrainiennes. Je rappelle qu’elle partage une frontière de 650 kilomètres avec l’Ukraine et est bordée par la mer Noire.
Cette perspective est inquiétante, cela explique les milliers de manifestants sur la place de l'Université, dans le centre de Bucarest, pour protester contre l’ascension de Georgescu.
Oui cela inquiète. Plusieurs ONG roumaines ont demandé à la Commission européenne d’ouvrir une enquête sur l’utilisation de TikTok pendant la campagne, en s’interrogeant sur la transparence et la sécurité de cette plateforme dans un processus électoral. L’enquête vise également à valider l’utilisation des plateformes dans le respect du Digital Services Act. C'est la première fois que l’UE envisage une telle démarche. On voit bien l'importance stratégique de cette élection pour les équilibres européens.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.