Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
J’ai cru comprendre qu’on allait s’éloigner de l’Europe dans cette chronique.
Oui Laurence, cap sur les savanes africaines ! Cette chronique co-écrite avec un collègue de l’IRD, écologiste des sols, va vous démontrer qu’étudier les sols de savanes peut donner des idées pour notre agriculture.
Nous allons nous intéresser à l’azote. L’azote est un composant, le composant le plus présent, à 80%, dans l’atmosphère sous forme de N2 (ou di-azote). C’est aussi un composant essentiel de la matière vivante, essentiel pour les protéines, les enzymes, et la chlorophylle pour les plantes. Malheureusement la plupart des plantes ne peuvent pas prélever l’azote de l’air si abondant, elles doivent puiser leur azote dans les sols où il est beaucoup moins disponible, quoique... on va voir. Les formes d’azote puisées par les plantes sont les nitrates ou l’ammonium.
Les nitrates, mais ce n’est pas un polluant ça les nitrates ?
Pas en faible quantité. Dans les sols, il y a deux formes d’azote, nitrate et ammonium. Ces deux formes d’azote proviennent de la décomposition des matières organiques qui donne d’abord de l’ammonium. L’ammonium est alors vite transformé en nitrate. Ces nitrates sont plus facilement absorbés par les plantes, mais aussi plus mobile dans l’eau et peuvent se transformer en protoxyde d’azote un puissant gaz à effet de serre. Comme bien souvent dans la nature, tout est une question de quantité. Comme le CO2 dans l’atmosphère indispensable à la photosynthèse, les nitrates sont souvent indispensables à la croissance des plantes.
D’où son possible rôle de polluant ?
Oui, étant donné le rôle essentiel des nitrates pour la croissance des plantes, pour augmenter la production agricole, l’utilisation d’engrais azotés de synthèse a elle aussi augmenté. Cette utilisation croissante d’engrais a permis une meilleure production agricole, mais le surplus a enrichi les eaux en nitrates et l’atmosphère en protoxyde d’azote. Cet enrichissement généralisé en azote perturbe les écosystèmes et par exemple provoque, des phénomènes d’eutrophisation, comme les multiplications d’algues dont on a entendu parler. Et je ne vous parle pas de la fabrication de ces engrais de synthèse : un procédé industriel qui bénéfice certes de l’azote de l’air mais est générateur de gaz à effet de serre et représente près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre lié à l’agriculture.
Nous ne devions pas visiter les savanes africaines ?
Si si nous y voilà. Sébastien a beaucoup travaillé dans la savane de Lamto à 160 km au Nord d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Cette savane associe des arbres et des graminées. Sébastien et ses collègues chercheurs ivoiriens ont montré que sous ces graminées, la nitrification, c’est-à-dire la transformation de l’ammonium en nitrate était très faible. Les graminées inhibent cette transformation et donc diminue la teneur en nitrate des sols de savane.
Comment les graminées font-elles pour limiter cette transformation en nitrates ?
Il semble que les graminées libèrent des petites molécules dans le sol qui bloquent l’activité de nitrification des bactéries responsables de cette transformation. Il semble que les plantes manipulent le sol et ses microorganismes à leur profit pour éviter un maximum les pertes d’azote qui sont en faible en quantité dans la savane. Limiter la nitrification c’est limiter l’éventualité de pertes de nitrates lors de fortes pluies ou par émission de protoxyde d’azote. Des modèles mathématiques ont montré que cette inhibition était probablement responsable de la forte production végétale de la savane de Lamto. Ces graminées africaines du fait de cette propriété ont un avantage certain sur d’autres graminées. Ceci expliquerait pourquoi on les retrouve dans des pâturages sud-américains ou en Australie au détriment des graminées locales.
Et en quoi est-ce intéressant pour notre agriculture alors ?
Des chercheurs se sont demandés s’il était possible d’imiter les savanes pour limiter les quantités de nitrates et de protoxoyde d’azote produits dans nos sols agricoles trop fertilisés. Des recherches sont menées pour développer des jachères à base de graminées inhibitrices ou des cultures de graminées inhibitrices en mélange avec une céréale. La solution ultime serait de sélectionner de nouvelles variétés de céréales capables d’inhiber la nitrification car il semble que certaines variétés anciennes de céréales ont gardé partiellement cette capacité. Ces solutions permettraient à la fois d’augmenter l’efficacité des engrais azotés, ainsi que la potabilité de l’eau des nappes phréatiques, et de diminuer l’eutrophisation des écosystèmes et la production de gaz à effet de serre. Comprendre la variabilité des interactions entre plantes et bactéries des sols est passionnant.
Donc les solutions pour développer des systèmes agricoles durables sont à chercher en Afrique ?
En Afrique ou ailleurs ! les interactions sol-plante sont encore largement à découvrir. En tout cas, elles sont à la base du fonctionnement des écosystèmes terrestres et devraient être, aussi, à la base de nos systèmes de productions si nous les voulons durables.
Un entretien réalisé avec Laurence Aubron