Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Vous m’avez dit que vous n’étiez pas trop en forme, et que vous vouliez nous parler de boulettes.
C’est exact quand j’ai écrit cette chronique j’étais un peu, je ne sais pas énervée, déçue, triste. Un peu tout à la fois. Il faut dire que ce soit la politique internationale, les tendances climatiques, ou à l’échelle nationale, l’affaiblissement des normes environnementales ou les déclarations sur l’éventualité d’assouplir le zéro artificialisation nette, il y a de quoi perdre le moral face à ce monde de ... J’ai donc choisi aujourd’hui de parler de boulettes fécales.
Boulettes fécales d’accord… pourquoi est-ce si important pour les sols ?
C’est une bonne question Laurence. Une question que je ne me suis longtemps pas vraiment posé. Ce qui est embêtant pour un chercheur, car un bon chercheur, n’est pas un chercheur qui trouve mais un chercheur qui sait se poser de bonnes questions. C’est d’autant plus embêtant car je travaille sur le cycle du carbone dans les sols. Pour moi grossièrement le dioxyde de carbone de l’atmosphère, le CO2, est prélevé par les plantes, c’est la photosynthèse. Ces plantes grandissent grâce à ce carbone et aux nutriments, N, P, K puisés dans les sols. Puis elles meurent entièrement ou en partie. La décomposition de ces plantes, de leurs feuilles, de leurs racines est réalisée par la combinaison de l’activité des animaux du sol comme par exemple des vers de terre, des collemboles, des acariens mais surtout l’activité de champignons et de bactéries microscopiques. Ces organismes utilisent de l’oxygène et l’énergie de cette matière organique morte et respirent du CO2 qui repart dans l’atmosphère. Cette décomposition remet en partie et progressivement des nutriments dans les sols qui seront repris les plantes. Dans ma représentation, il y a bien les animaux du sol et leurs déjections… mais je n’y prêtais pas du tout attention, jusqu’à ma rencontre avec François-Xavier Joly, chercheur à l’INRAe. François Xavier m’a démontré que les boulettes fécales des petits animaux étaient de véritables accélérateurs à décomposition.
Sur quels animaux travaille François Xavier ?
Il a particulièrement travaillé en milieux forestier sur les millepattes, les cloportes et les escargots. Des animaux qui vivent dans la litière. Ils vivent dans cette zone très organique qui n’est pas encore complètement du sol : dans l’épaisseur des feuilles mortes en surface. Ces animaux consomment ces feuilles et participent à leur disparition dans le temps. Tout comme les acariens et les collemboles dont nous avions parlé avec Mathieu Santoja récemment.
Et donc les boulettes fécales de ces animaux facilitent la décomposition des feuilles mortes ?
C’est bien la question à laquelle a voulu répondre François Xavier. Tout d’abord il faut savoir que toutes les feuilles mortes ne se valent pas. Certaines sont plus faciles à décomposer que d’autres. Bactéries et champignons décomposent plus vite les feuilles tendres et riches en nutriments que les feuilles épaisses. A votre avis, est ce que des animaux aussi différents que des escargots, cloportes et mille pattes forment des boulettes fécales équivalentes ? Et est-ce que ces boulettes ont des durées de décomposition différentes selon le régime alimentaire des animaux ?
Aucune idée mais déjà je ne vois même pas comment repérer des boulettes fécales d’escargots, alors de là à savoir ce qu’il a mangé ?
Oui c’est vrai que répondre à ces questions demande de l’organisation. François Xavier aidé par d’autres scientifiques a glané en forêt près d’un millier d’individus répartis en 1 espèce d’escargot, 2 espèces de cloportes et 3 de millepattes. Ils ont également ramassé 6 litières de feuilles plus ou moins faciles à décomposer, du chêne, du hêtre… 6 espèces d’arbres. Ensuite dans des boites, espèce d’animaux et de feuilles ont été croisées, soit 36 boites en tout. 2 fois par semaine pendant 1 mois, les boulettes fécales sont ramassées.
Et là effectivement on sait d’où viennent les boulettes. Alors elles sont toutes pareilles ?
Non la forme et la couleur varie. La forme dépend de l’animal, la couleur de ce qu’il a mangé. Mais ce qui est intéressant c’est la suite…Ces boulettes sont ensuite posées sur une sorte de gaze posée sur le sol. Ce qui permet aux bactéries et champignons du sol de coloniser et de décomposer les boulettes. La vitesse de décomposition, c’est-à-dire de disparition de la boulette fécale, est comparée à celle des feuilles non mangées elles aussi posées sur la gaze à même le sol.
Et les boulettes se décomposent plus vite !
Et les boulettes se décomposent plus vite, en moyenne une décomposition 33% plus rapide. Ces boulettes sont composées de débris de feuilles de petites tailles. La surface à décomposer est démultipliée à l’échelle des microorganismes qui sont ainsi bien plus efficaces. Les résultats sont équivalents quel que soit l’animal et l’accélération de la décomposition est d’autant plus forte que le type de feuille se décompose mal. Le passage par le tube digestif de l’animal tend à accélérer et uniformiser la vitesse de décomposition de n’importe quelle litière.
Et c’est bien ça une décomposition plus rapide ?
Une décomposition plus rapide accélère le recyclage des nutriments qui vont diffuser dans le sol et seront à nouveau disponibles pour la croissance des plantes. Il y a un équilibre entre la croissance et la décomposition végétale. Ces boulettes fécales des petits animaux du sol sont une illustration de plus, de l’importance de la biodiversité dans le fonctionnement des écosystèmes terrestres. Et si vous êtes encore capable de vous émerveiller en écoutant une chronique sur les sols et les boulettes fécales, alors je suis rassurée, le monde n’est pas perdu, vous saurez en prendre soin.
Un entretien réalisé avec Laurence Aubron