Les sols, merveilles invisibles

La respiration du sol (épisode 1)

L Siegwart INRAE La respiration du sol (épisode 1)
L Siegwart INRAE

Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).

Tiphaine, aujourd’hui, on parle de la respiration du sol

Oui car si on parle de santé du sol et de sol vivant, c’est bien que le sol respire. Vous vous souvenez Laurence, pour que l’on puisse appeler sol, un sol, il faut 5 éléments, des particules minérales, de la matière organique, de l’eau, de l’air et des êtres vivants. Ces êtres vivants vivent dans la porosité du sol, c’est-à-dire dans de l’eau et dans de l’air. En gros, les plus gros comme les vers de terre vivent dans l’air, d’ailleurs certains d’entre eux remontent à la surface quand leurs galeries sont pleines d’eau pour ne pas se noyer, les plus petits comme bactéries et nématodes nagent dans les porosités les plus fines.

Et tous ces organismes respirent.

C’est ça, un peu comme nous, ils consomment de la matière organique, utilisent de l’oxygène et rejettent du CO2 pour avoir de l’énergie. Ils respirent l’oxygène qu’ils trouvent dans l’eau ou l’air du sol et y rejettent du CO2. Si vous enfermez dans un bocal du sol sans plante, même sans animaux visibles, l’atmosphère du bocal va s’enrichir en CO2 et s’appauvrir en O2. C’est le signe de la présence d’organismes invisibles mais bien vivants.

C’est ce que l’on appelle respiration du sol.

Tout à fait. Cet échange O2/CO2 ; très naturel, très commun, existe aussi pour les sols. Cette respiration est liée à l’activité des microorganismes qui décomposent la matière organique. Ainsi les microorganismes recyclent les éléments minéraux contenus dans cette matière organique en azote ou phosphore indispensables à la croissance des plantes. La matière organique doit donc être assez facile à manger par les microorganismes qui doivent être présents et actifs pour qu’ils puissent fournir à leur tour de quoi alimenter les plantes.

Donc OK, quand on enrichit le sol en matière organique, cela ne dure pas car la matière organique se fait manger par les organismes du sol. C’est bien ça ?

Oui c’est bien ça, ce côté dynamique de la matière organique est positif car il permet la vie du sol et on vient de le voir de recycler les éléments minéraux pour l’alimentation des plantes. D’un autre côté, cette matière organique contenant environ 50 à 60 % de carbone, constitue un stock de carbone considérable à l’échelle de la planète. On parle de ce stock de carbone du sol comme un puits de carbone. Stocker du carbone dans le sol est une solution pour réduire la concentration en CO2 dans l’atmosphère.

Mais vous venez de dire que ce stock ne durait pas ? Alors ?

Oui c’est un stock dynamique. En gros, il se remplit grâce aux apports de carbone, c’est-à-dire de matière organique, sous forme de feuilles, de racines, de compost… et se vide, en partie, via la respiration du sol, où le carbone repart dans l’atmosphère sous forme de CO2. A l’échelle de la planète, cette balance + entre entrées et sorties de carbone est au cœur du rôle du sol dans la régulation de la concentration en CO2 de l’atmosphère et donc du climat.

Vous me dites que la respiration des microorganismes du sol est au cœur de la régulation notre climat.

En raccourcit, oui c’est bien ce que je dis. Les microorganismes du sol, tout petit soient-ils, mais tellement nombreux et actifs, participent aux équilibres gazeux de notre atmosphère.

Est-ce que les scientifiques suivent la respiration des microorganismes du sol ?

Oui différentes méthodes sont utilisées pour la mesurer, soit sur le terrain soit au laboratoire en conditions contrôlées. Les objectifs de ces mesures sont multiples. Sur le terrain, les objectifs sont plutôt d’ordre climatique, c’est-à-dire que l’on va chercher à comprendre la balance entre les entrées et les sorties de carbone des sols, par des mesures de quantités de C émis par les sols sous forme de CO2 que l’on va comparer aux quantités de C qui rentre dans les sols. Au laboratoire, les objectifs sont plutôt d’ordre agronomique ou écologique. On va chercher à caractériser la matière organique, voir si elle se décompose bien afin de fournir des éléments minéraux aux plantes, et à caractériser l’activité des microorganismes, voir s’ils sont bien actifs et dans quelles conditions.

Est-ce qu’il y a des sols qui ne respirent plus ?

Plus du tout, c’est difficile car la vie est résistante et nos appareils de mesure assez sensibles. Mais des sols pauvres en matière organique qui respirent peu oui cela existe. Les facteurs de variabilité de la respiration sont ceux qui font varier l’activité des microorganismes donc la teneur en matière organiques, bien sûr, mais aussi la température et l’humidité du sol. Les microorganismes vivants dans l’eau, ils respirent plus dans un sol humide que dans un sol sec. Dans un sol très sec, la respiration peut même devenir imperceptible, certains microorganismes meurent, beaucoup deviennent dormants et dès la première pluie, les survivants se réveillent et se remettent à respirer plein pot!

Donc si j’ai bien suivi, les microorganismes du sol sont à la fois acteur de la régulation du CO2 dans l’atmosphère, donc du climat mais en même temps ils sont sensibles au climat.

Voilà, c’est un peu compliqué et cela mérite bien deux chroniques, Laurence. On en reparle la semaine prochaine avec les recherches de Gabin Piton, chercheur à INRAE avec qui j’ai commencé à écrire ces deux chroniques.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.