Dans cette chronique, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir, avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Bonjour Tiphaine, avec quel sujet allons-nous débuter l’année 2024 ?
Les nématodes !
Ah oui, les nématodes… pourquoi pour débuter l’année et puis c’est quoi un nématode ?
Voilà exactement pourquoi je voulais parler nématodes. Ces animaux, les plus abondants des sols, sont quasiment inconnus du grand public, pourtant terrien. En ce début d’année, pleine de bonnes résolutions, la nature, l’environnement ou la biodiversité font parfois leur retour dans les discours. Et si je vous dis biodiversité ?
Je ne pense pas nématode.
Ben non, plutôt oiseaux, insectes, fleurs, arbres. Des espèces rares ou ordinaires mais que vous voyez, que vous pouvez imaginer.
Honnêtement les nématodes je ne vois pas du tout, la tête que ça a.
Cela n’a pas vraiment de tête, plutôt des pièces buccales pouvant être magnifiques, mais on verra ça après. Le mot nématode vient de deux mots grecs, nêma pour fil et eidos pour forme. Ils sont donc filiformes, ronds, mesurent généralement 1 mm de long pour 20 microns de diamètre. Très petits, ils sont en plus translucides donc invisibles à l’œil nu. Pour l’imaginer, c’est en gros un tube digestif, doublé d’une enveloppe un peu plus épaisse, appelée une cuticule. Ils s’adaptent à toutes les conditions sur terre comme dans les mers.
Comment vivent ces animaux dans les sols ? Sont-ils bénéfiques ou induisent-ils plutôt des maladies ?
Quand on en a entendu parler, c’est souvent à cause d’une attaque de nématodes sur des plantes, mais la plupart sont complètement neutres, vivant librement sans dépendre d’autres organismes. D’autres c’est vrai sont parasites de plantes ou d’animaux.
Que mangent-ils ?
Selon l’espèce, parcequ’il y en a quand même 25 000 espèces différentes, les nématodes mangent des bactéries, des champignons, des plantes, d’autres petits animaux, des nématodes, ou un peu de tout ça. Les nématodes sont donc souvent classés par groupes trophiques : bactérivores, fongivores, phytophages, carnivores ou omnivores.
Les nématologistes, les scientifiques spécialistes des nématodes, dont Anne-Sophie Masson en post doctorat à l’INRAE à Montpellier qui m’a aidé à écrire cette chronique, peuvent déduire le régime alimentaire d’un nématode à partir de sa morphologie buccale. L’observation au microscope de la cavité buccale de l’animal est très informative. En forme de fuseau avec un stylet c’est un phytophage, parasite de plante, en forme de plumeau pour attraper des bactéries présentes dans l’eau du sol, c’est un bactérivore par exemple.
Et c’est utile de connaitre leur régime alimentaire ?
Comme ils sont très abondants dans les sols, l’équilibre des populations de chaque groupe trophique est un bon indicateur de l’état biologique et de la santé des sols. Plus la population de nématodes libres est abondante et plus le sol est biologiquement actif, mais la présence d’une seule espèce de nématode parasite de plante peut être une catastrophe.
Ils sont très nombreux dans tous les sols ?
En moyenne il y a 1000 nématodes dans 100g de terre sèche, mais cette moyenne ne veut pas dire grand-chose car la variabilité selon les milieux est considérable, de 8000 nématodes à quelques centaines pour 100g de terre. Bien que présents partout ils ne sont pas répartis de manière uniforme à la surface du globe. Surtout présents dans les 15-20 premiers centimètres du sol, là où la terre et donc leur nourriture est plus riche, ils sont plus abondants dans les zones tempérées que dans les déserts bien sûr. Cependant, plus on monte dans les hautes latitudes, vers le nord de l’Europe, le Canada ou la Sibérie, plus les populations sont fortes témoignant d’une très forte activité biologique dans les sols de ces contrées.
Finalement il y a plus nématodes dans les forêts tempérées et la tundra que dans les forêts tropicales ?
Oui exactement, cela change un peu votre conception du monde et de la biodiversité terrienne pour cette nouvelle année, non ? Nous reviendrons sur la nématofaune dans de prochaines chroniques, car ce petit monde a beaucoup à nous apprendre.