Une semaine sur deux sur euradio, Tiphaine Chevallier, directrice de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) , cherche à effectuer un rappel à la terre qui se trouve sous nos pieds, sous le bitume, dans l'optique de renouer les liens forts que nous entretenions avec cette dernière.
J’ai toujours été stupéfaite par le peu de choses que l’on connaissait sur les sols. Les océans, les forêts tropicales, les grands fleuves, les déserts, même l’air sont des milieux mieux connus. Leur seule évocation fait rêver. Ajoutez une musique planante et vous y êtes. Si je vous parle de leur pollution, vous vous révolterez sans doute de la perte de ces paradis perdus.
Vous n’étiez pas censés nous parler des sols ?
Si si sur les sols… mais reconnaissez que les sols vous transportent moins. La terre des parcs, jardins, champs, pâturages ou forêts, et même si celles-ci sont tropicales, vous font moins rêver. C’est plus terre à terre si j’ose dire. Les plantes au-dessus oui, elles suscitent de l’intérêt mais pas les sols….
Mon défi est de vous faire changer d’avis. De changer votre regard sur cette matière noire, meuble et salissante. De vous convaincre que les sols sont au centre de votre vie.
Rien
que ça ? Toujours plus !
Et oui, les sols sont partout. Pour faire un clin d’œil à Bruno Latour, philosophe des sciences, amoureux de la terre, récemment disparu, je vous propose de redevenir terriens, terriennes. De reconnectez notre vie hors-sol à la terre. A mettre sinon les mains, les yeux dedans.
Pour commencer, avez-vous aujourd’hui eu un contact avec le sol ?
Et bien oui j’ai marché dessus. Un petit chemin de terre entre 2 rangées de parking..
Le sol est souvent perçu comme une surface, c’est la peau, l’épiderme de notre planète. Le sol est pourtant un milieu vivant en 3 dimensions. Vivant on le verra dans de prochaines chroniques et en 3 dimensions car ils sont épais de quelques centimètres à plusieurs mètres et sont hétérogènes avec la profondeur.
Il
s’éclaircissent en creusant, non ?
Exactement. Comme Buffon, Naturaliste du 19ième siècle, l’avait remarqué des lits de terreau superposent des lits de terre limoneuse. En creusant, ou en observant les bords de talus et ou encore à l’occasion de travaux en ville, on aperçoit ces « lits » de terre. Les chantiers en ville laissent parfois entrevoir de beaux profils !
Profils ?... mais de sols ?
Profil de sol. C’est la succession de lits comme dirait Buffon ou d’horizon comme le disent les pédologues déjà depuis une bonne centaine d’année.
Comment
ça un horizon dans les sols ?
Étymologiquement horizon signifie limite, séparation entre le haut et le bas. Entre le ciel et la terre, entre 2 couches de sol différentes. Imaginez-vous dans une fosse, disons un grand trou dans le sol de 2 m de profondeur, histoire de ne voir que du sol.
Devant vous, vous avez la face de la fosse, c’est que l’on appelle un profil de sol. Vous remarquez sans doute quelques racines de plantes. Il y en a plus en haut qu’en bas. Vous observez aussi des couches homogènes en couleur, structure et texture. Elles sont empilées les unes sur les autres, à peu près parallèles à la surface. Vous pouvez ainsi découper votre profil en tranches. Dès qu’un caractère suffisamment important se modifie, vous distinguez une nouvelle tranche, c’est-à-dire un horizon différent. Au final vous avez décrit votre profil de sol par une succession d’horizons, peut être simplement 1-2 ou jusqu’à 7-10 selon le type de sol. Le premier scientifique à avoir dessiné un profil de sol est Darwin.
Darwin ?
Charles ? Celui de la théorie de l’évolution des espèces ?
Bien sûr, tous les grands naturalistes s’intéressent un jour ou l’autre aux sols… Les sols, sont au centre de la vie. Bref.
Revenons à nos horizons. Ces horizons donc… ne sont pas infinis. De là où vous êtes, ils butent sur les bords de la fosse mais ils continuent sans doute plus loin. Leur extension latérale peut varier de quelques mètres à plusieurs kilomètres. Un horizon disparait ensuite pour laisser place à un autre horizon.
Très
poétique, ces horizons changeant..
Oui, et si la description de leur successions et types d’assemblages est réalisée pour interpréter le développement des sols ou pour les classer, leur donner un nom, ces successions ont aussi inspirés des artistes.
Inspirés
des artistes, ou utilisé par des artisans comme des potiers ?
Ils se sont servis d’argile trouvé dans les sols ?
Oui c’est vrai aussi mais je ne pensais pas à eux, ni même à ceux qui s’y fournissent en pigment. Je pensais à ceux dont certains tableaux ressemblent à des profils de sol, comme Jean Dubuffet ou Mark Rothko. Il est aussi possible de coller de vrais profils de sol pour réaliser des tableaux. Je vous invite à taper « Soil Museum » sur internet. Vous trouverez quelques musées sur les sols, aux pays bas, en Thaïlande par exemple. Ces musées ont de belles collections de profil de sol collés. L’objectif de ces musées avec ces tableaux de sol est d’illustrer leur variété des dégradés de bruns, de gris, de rouge, de jaune. C’est magnifique. Allez, vous pouvez remonter de la fosse et reprendre une vie normale… On se retrouve dans 2 semaines, d’ici là changez d’horizons… Redevenez terriens, terriennes et appréciez les sols.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.