Une semaine sur deux sur euradio, Tiphaine Chevallier, directrice de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), cherche à effectuer un rappel à la terre qui se trouve sous nos pieds, sous le bitume, dans l'optique de renouer les liens forts que nous entretenions avec cette dernière.
Je crois
que vous allez nous parler des sols dans la mythologie et la religion
aujourd’hui.
Exactement. Je suis tombée, presque par hasard, sur un article de Christian et Laurence Feller dans la revue Études et Gestion des Sols intitulé le Sol et sa genèse dans la Genèse de la bible.
Étude et Gestion des sols est une revue scientifique ?
Oui, cette revue scientifique francophone est disponible en ligne gratuitement. Elle est éditée par l’Association Française pour l’Études du Sol. Des chercheur·ses l’alimentent régulièrement. Ce n’est pas une revue de vulgarisation, mais à côté d’articles scientifiques classiques, on peut lire divers articles dans lesquels le sol est central. Ce peut être sur des programmes en lien avec les pouvoirs publics ou des articles plus philosophiques ou culturels comme celui dont je me suis inspiré pour la chronique d’aujourd’hui.
Pour revenir sur le sujet d’aujourd’hui, connaissez-vous l’étymologie des mots humain et homme ?
Pas vraiment.
D’après ce que j’ai lu, et bien qu’il y ait quelques discussions et controverses sur le sujet, les mots humains et hommes sont en famille avec les mots adamah, sol ou terre en hébreu, mot qui aurait donné Adam (Eve étant la vie) mais aussi Humus qui signifie sol en latin.
Nous sommes donc des terrien·nes au sens propre du mot. Et dès les premiers grands récits fondateurs comme la Genèse où vous connaissez sans doute la citation « tu es poussière et tu redeviendras poussière » ou selon les traductions « tu es glaise et tu retourneras à la glaise ».
Est-ce le cas dans d’autres cultures ?
Oui, c’est ce que j’ai trouvé le plus intéressant dans cet article. Il existe de très nombreux mythes de création du monde où la terre, le sol, la glaise, l’argile est au début de tout. Le dieu dogon Amma jette un morceau d’argile dans l’espace pour former le monde. Le créateur Indien Salishan roule de l’argile comme une pâte pour créer la terre. Chez les Amérindiens, des dieux ou des animaux plongent dans les eaux primitives et en ressortent un morceau de terre pour développer le monde à la surface des eaux.
Et les Hommes ?
Aussi, comme dans le récit de la Genèse de la bible, l’humanité est souvent créée à partir de terre. En Chine, la déesse Nügua a modelé de la terre jaune pour créer les humains. En Asie centrale, le créateur Altaïque s’est servi d’un morceau de boue qui flottait sur les eaux. En Amérique du Nord, la déesse femme-araignée du peuple Hopi a chanté pour que la pensée puisse vivre en la modelant en argile. Dans les Andes, la déesse Jivaro a donné vie à un enfant en respirant sur la terre. Les morceaux de cet enfant d’argile brisé par un oiseau jaloux ont formé les hommes qui ont colonisé la terre. En Afrique, au Congo, le créateur Efe a eu aussi recours à l’argile tout comme d’autres personnages mythiques en Mésopotamie, en Mongolie ou à Madagascar, où le dieu créateur à créer les hommes en donnant vie aux poupées d’argile de sa fille.
Tous ces exemples illustrent nos liens forts avec la terre.
Oui, nous sommes tous en quelque sorte des filles ou des fils de la terre. D’où l’expression très partagée à travers le monde de la « Terre Mère ». D’ailleurs, souvenez-vous, les plus graves punitions divines sont des inondations, des déluges, des glaciations, qui privent l’homme de la terre.
Je vous vois venir, aujourd’hui on n’a plus besoin d’un dieu pour nous priver de nos terres, on s’en charge nous-mêmes.
Oui, c’était un peu facile, mais vous reconnaîtrez que ce n’est pas complètement faux. Il faut dire qu’on a l’impression que la terre, le sol, ou l’argile ont toujours été là. Vous avez peut-être remarqué que dans tous ces mythes de la création, Dieu, quelque qu’il soit, y avait facilement accès. De la terre était à sa disposition pour la lancer dans l’espace ou la modeler et insuffler la vie aux hommes.
Ah oui, c’est vrai, mais d’où vient cette terre ? Qu’elle est la genèse de ces sols ?
Dans les mythes, on ne sait pas, il n’y a pas d’explication claire. En science, la formation des sols appelée la pédogenèse s’explique par l’altération des roches. Les actions de l’eau, du vent, des changements de température, mais aussi des activités biologiques transforment physiquement et chimiquement ce matériel parental, souvent des roches. Ainsi, progressivement, ces matériaux se fragmentent, peuvent être altérés par des acides organiques ou déplacés par l’eau et le vent. Des éléments sont lessivés, d’autres s’accumulent. Toutes ses actions façonnent nos sols sur des centaines voire des milliers d’années. Les mythes pour la plupart ne mentionnent pas les roches. Ils ne mentionnent jamais leur évolution et la formation des sols. Les sols sont déjà là.
Intéressant, non ? Je vous laisse lire la discussion de cet article de Christian et Laurence Feller sur cette incompréhension du pédologue face aux mythes de la création du monde. Quoiqu’il en soit, les sols sont une ressource naturelle fragile, dont même les Dieux n’ont pas la recette… alors protégeons-les !
Entretien réalisé par Laurence Aubron.