Faut-il ou non parler d’un « génocide » à Gaza et faut-il, sans plus attendre, reconnaître la Palestine ? Ce sont là les deux questions dont on ne peut plus débattre à Paris sans qu’immanquablement le ton ne monte.
Alors, tentons de les aborder, cartes sur table et calmement.
A Gaza, le gouvernement israélien se rend coupable de crimes de guerre en bombardant des hôpitaux et des quartiers d’habitation, contraignant la population à des déplacements de masse et entravant la distribution de nourriture et de médicaments.
Ni l’utilisation de sous-sols d’hôpitaux pour y stocker des armes ni le démarrage de tunnels sous des bâtiments habités ne peuvent relativiser ces crimes. Il y a crimes de guerre mais on ne pourrait, en revanche, parler de génocide que s’il y avait eu une volonté des autorités israéliennes d’exterminer l’ensemble de la population palestinienne.
Étymologiquement parlant, un génocide est en effet le meurtre d’un peuple. Au XX° siècle, les premiers à en avoir été victimes ont été les Hereros et les Namas du Sud-Ouest africain puis il y eut les Arméniens, les Juifs, les Roms et les Tutsis.
Il y eut bien d’autres massacres de masse au siècle dernier. Ils ont été particulièrement abominables en Ukraine et au Cambodge – plus de trois millions de morts dans un cas, plus d’un million et demi dans l’autre – mais c’est par abus de langage qu’on parle là de « génocides » car ni Staline ni les Khmers rouges ne voulaient exterminer ces peuples. L’un voulait briser la paysannerie privée en Ukraine comme dans l’ensemble de l’URSS. Les autres voulaient assassiner tous ceux de leurs concitoyens considérés comme des opposants, avérés ou virtuels.
Ce n’est pas vouloir nier l’horreur qu’ont vécue l’Ukraine et le Cambodge que de faire la différence entre ces tueries de millions de personnes et des génocides. Ce n’est pas vouloir diminuer la gravité des crimes de guerre commis à Gaza que de ne pas parler là, non plus, de génocide. C’est vouloir s’en tenir au sens des mots et donc à la réalité des choses car mal les nommer, Camus l’a dit, « ajoute au malheur du monde ».
Légitime, cette exigence est indispensable mais le problème est que la jurisprudence n’aide pas puisque la Justice a pu qualifier de « génocide » le massacre de Srebrenica et qu’un crime de guerre semble pour ainsi dire bénin s’il n’est pas dénoncé comme génocide.
Extrêmement passionnel, le débat restera difficile mais le second ne l’est pas moins car « Comment reconnaître, entend on d’emblée, un Etat qui n’existe pas ? ».
L’argument paraît imparable mais au temps où la Pologne partagée n’existait plus, l’Empire ottoman continuait à la reconnaître et lorsque les Etats baltes n’étaient plus que des Républiques soviétiques, le monde libre les considérait, à juste titre, comme des Etats illégalement occupés et annexés.
La Palestine n’existe pas ou (autre débat difficile) n’existe plus mais il y aurait pourtant deux raisons de la reconnaître. L’une est qu’elle existe en creux puisque la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est sont en droit international des territoires palestiniens occupés et qu’il n’est plus temps de passer ce fait sous silence.
Occupée par Israël, la Palestine existe et puisqu’il n’y aura de paix durable que dans la coexistence de deux Etats, il y a urgence à l’affirmer pleinement en reconnaissant celui de ces Etats qui n’existe pas encore.
Dès lors que ce sera fait, les pourparlers de paix qui se rouvriront un jour pourront directement porter sur les questions de sécurité, le tracé des frontières de la Palestine et l’emplacement de sa capitale et non pas sur la reconnaissance de cet Etat qui sera d’ores et déjà acquise. Reconnaître la Palestine, ce n’est pas « donner une prime au Hamas ». C’est obliger Palestiniens et Israéliens à prendre leurs responsabilités en renonçant les uns à la Palestine mandataire et les autres, à l’Israël biblique. Reconnaître la Palestine, ce n’est pas prendre parti pour les uns contre les autres mais sortir d’un statu quo mortifère et ouvrir la voie à la coexistence de deux Etats, à la solution, la seule possible, de ce conflit séculaire.