Cette semaine, vous avez choisi de revenir sur la façon quelque peu chaotique dont les Européens tentent de gérer la question sensible de l’immigration…
Dans l’ensemble de l’Union européenne, il suffit de consulter les sondages et de parcourir les programmes des différents partis politiques : l’une des préoccupations majeures de nos concitoyens, c’est en effet la gestion des flux migratoires illégaux vers l’Europe. Pour tenter d’y répondre – et à l’issue de longues années de tractations – l’UE a créé en 2004 une agence chargée d’identifier les filières d’immigration clandestine et de coordonner les activités des organismes nationaux chargés de les réprimer. C’est la naissance de FRONTEX. Il y a cinq ans, le mandat de cette agence est élargi et renforcé. On évoque un corps européen de garde-côtes et de garde-frontières fort de dix mille agents. L’opinion applaudit. Mais, pendant ce temps, on découvre qu’au moins trente mille migrants sont morts noyés en Méditerranée. L’opinion s’insurge. En résumé, voilà la contradiction fondamentale qui aura, à ce jour, empêché FRONTEX de remplir ses missions.
Vous voulez dire que FRONTEX n’aura servi à rien ?
Pas exactement : de leur tour de verre à Varsovie, les collaborateurs de l’agence auront parfaitement documenté les mouvements d’immigrés, les itinéraires choisis, le volume, l’origine géographique, et les causes de ces migrations. Ils connaissent l’importance de la météo et des saisons ; ils savent quels sont les pays européens les plus attractifs. Mais c’est le passage à l’action qui n’a jamais vraiment su atteindre ses objectifs. Les navires et les aéronefs de patrouille maritime opèrent souvent sur la base de renseignements communiqués par FRONTEX qui est informée de la suite donnée, mais ces moyens aériens et navals restent sous l’autorité des États qui en sont propriétaires.
C’est de là que proviennent les problèmes, alors ?
Essentiellement, oui. Car la distinction est ténue entre, d’une part, l’interdiction d’entrer en Europe signifiée à qui n’en remplit pas les conditions, et, d’autre part, l’assistance due à des personnes naufragées en mer. Or, des incidents se produisent régulièrement lorsque des vedettes des garde-côtes grecs ou italiens (notamment) tentent de dissuader les frêles embarcations de migrants de se rapprocher des côtes européennes, au mépris du droit de la mer. Les associations humanitaires rendent FRONTEX responsable des pertes en vies humaines ; et l’opinion s’agace en contemplant à la télévision les centaines de milliers de migrants entassés dans des camps de fortune sur des îles en Mer Égée. Toujours la faute à FRONTEX.
Alors, quelles décisions fallait-il prendre pour sortir de ce casse-tête ?
Probablement pas celles qu’a pris la Commission européenne : d’abord, en lâchant les limiers anti-fraude sur la gestion de FRONTEX, histoire de voir si l’argent du contribuable européen y était correctement utilisé, ce qui s’apparentait quelque peu à l’histoire de l’homme qui noie son chien en prétendant qu’il a la rage. Ensuite, en encourageant en sous-main les ONG humanitaires à diriger leurs campagnes contre la personne du directeur de FRONTEX, le Français Fabrice Leggeri, précédemment haut-fonctionnaire au Ministère de l’Intérieur. A ce spécialiste internationalement reconnu de la lutte contre l’immigration clandestine, on a notamment reproché de n’avoir pas donné suite en temps voulu à des plaintes de harcèlement entre membres de son personnel et de ne pas savoir communiquer. On mesure la gravité de ses crimes. Et, toujours à l’affût d’un éventuel scandale, le Parlement européen s’est volontiers prêté à cette entreprise de déstabilisation.
Et où en est-on aujourd’hui ?
Le problème reste entier : si l’on veut endiguer les migrations illégales et, plus généralement, doter l’Europe d’une politique migratoire d’ensemble, alors qu’aux réfugiés politiques et aux migrants économiques vont s’ajouter les exilés climatiques, il faudrait une organisation autrement plus considérable, agissant sans faille et avec fermeté dans le cadre de règles connues de tous. Mais pour cela, il faudrait que les dirigeants de l’Union européenne se montrent moins pétrifiés à l’idée de déplaire. On perçoit l’ampleur de la tâche. En attendant, M. Leggeri a fini par jeter l’éponge et a démissionné l’autre jour. Les organisateurs de filières migratoires et autres spécialistes du trafic d’êtres humains sont les premiers à s’en féliciter.