Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Pour faire court, QD, cette semaine, vous envisagez le pire…
Revenons en arrière d’une soixantaine d’années. La Guerre froide occupe les journaux et l’opinion. La peur nucléaire fait recette. Les unes des hebdomadaires évaluent régulièrement la probabilité d’une guerre totale ; le courrier des lecteurs abonde en demandes de conseils quant à la meilleure façon de se garantir de la radioactivité. Et les entreprises d’aménagement des caves d’immeuble en abris anti-nucléaires font fortune. Depuis 1963, en Suisse, les abris sont même obligatoires sous toute construction neuve – assez pour recueillir aujourd’hui la totalité des neuf millions d’habitants de la Confédération.
Mais, depuis les années 1990 et l’effondrement de l’Union soviétique, on pensait avoir tourné définitivement cette page particulièrement anxiogène.
Où voulez-vous en venir ?...
Attisée par la propagande russe, l’opinion reprend aujourd’hui à douter. Mais cette fois-ci, les autorités des pays de l’Union européenne n’y répondent plus en misant sur l’équilibre de la terreur et sur la perspective de la destruction réciproque assurée. C’est que l’invasion russe de l’Ukraine fait reparaître l’éventualité d’une guerre classique qui – contrairement à la guerre civile en Yougoslavie dans les années 1990, bien circonscrite géographiquement – menace dans un avenir proche de pousser jusqu’en Allemagne et plus loin encore. Alors, un peu partout, les gouvernements européens s’organisent.
En quoi consiste donc leur action ?...
Certains se montrent plus discrets que d’autres, mais voilà que reparaît la notion de défense civile, à égalité d’importance avec le renforcement des moyens militaires des pays démocratiques. Nettement en avance sur le reste de l’Europe, le gouvernement suédois vient de publier une brochure illustrée de trente-deux pages, distribuée depuis deux mois à chacun des foyers du royaume.
Le préambule de cet ouvrage, intitulé En cas de crise ou de guerre, ne laisse guère de place à la périphrase : « L’état du monde s’est aggravé de façon dramatique au cours de ces dernières années. La guerre fait rage non loin de nos frontières (…). Les menaces terroristes, les cyberattaques, et les campagnes de désinformation sont mises en œuvre afin de saper notre détermination et de nous influencer ».
Quelles sont les mesures de sauvegarde individuelle que propose cet ouvrage ?...
Outre la référence aux mesures collectives, tels les abris de quartier, on peut y lire les précautions à prendre à domicile : stockage de vivres, d’eau, et de produits médicaux et d’hygiène ; un sac, déjà prêt en cas d’évacuation précipitée, contenant notamment des vêtements de rechange pour plusieurs jours, des imperméables, une trousse de toilette, une lampe de poche, ainsi que de l’argent en liquide et tous les documents d’identité – sans oublier les capsules d’iode.
Mais des conseils médicaux sont aussi prodigués, comme les premiers soins aux blessés.
Rien n’est oublié, même pas le sort des animaux de compagnie.
Et, dans la tradition scandinave, quelques conseils psychologiques pour atténuer l’anxiété et pour expliquer la guerre aux enfants complètent le texte.
Celui-ci est disponible au téléchargement dans les langues scandinaves et minoritaires locales ainsi qu’en anglais.
Mais les Suédois ne sont tout-de-même pas les seuls en Europe à vouloir préparer leur population au pire ?...
Non, loin de là. La Finlande a publié en ligne, dès le mois d’octobre dernier, un compendium semblable ; BRUXELLES étant le siège de l’UE et de l’OTAN, les Belges recommandent eux aussi la constitution du sac prêt-à-partir, et, toujours pratiques, ils y incluent un couteau suisse et des câbles de démarrage. Et les Néerlandais sont sur la même ligne.
Et la France, dans tout cela ?...
La France est comme les autres grands pays ou pays situés plus loin de la menace russe : même si les services de la Sécurité civile échafaudent des plans, aucune communication générale à la population n’est prévue. Tout au plus notera-t-on une initiative privée, qui propose gratuitement sur les réseaux sociaux une traduction en français de la brochure suédoise.
Certains verront dans la réserve de ces pays la volonté d’éviter un vent de panique dans la population, qui ne pourrait en effet que servir les intérêts déstabilisateurs du Kremlin – mais on ne peut que reconnaître que pour être prêt, au cas où, mieux vaut s’y préparer.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
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