L'édito européen de Quentin Dickinson

Éternels regrets...

Photo de Samuel Wölfl - Pexels Éternels regrets...
Photo de Samuel Wölfl - Pexels

Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.

Cette semaine, QD, vous comptez nous proposer une réflexion sur l’époque que nous vivons…

C’est l’une des leçons des siècles qui nous ont précédé, et qui demeure toujours vérifiable : pour survivre, toute idéologie est naturellement portée à se radicaliser à l’extrême ; lorsqu’elle y parvient, une idéologie en tous points inverse entraîne la pensée et la pratique politique vers l’extrême opposé, et le processus se perpétue tout au long de l’histoire de l’humanité.

La synthèse de ces allers-retours n’est donc qu’un état fugitif, la période nécessairement limitée dans le temps où surnagent la modération et la cohabitation des contraires.

Ceci posé, où diable voulez-vous nous entraîner ?...

A cet autre constat : l’économie se mondialisant au cours des années 1990, l’on a pu croire que l’addition des accords de libre-échange, bilatéraux ou multilatéraux, allait gommer la somme vertigineuse des règlements douaniers nationaux.

Et, dans un premier temps, ce fut le cas.

Mais, au prétexte (notamment) de s’adapter à des circonstances nouvelles ou de protéger le consommateur et la planète, les principaux États se sont mis à tisser une toile de plus en plus touffue de règlements dits techniques, imposés à toute entreprise souhaitant vendre ses produits à l’importation dans un pays autre que le sien.

A cet égard, la statistique est irréfutable : dans les années 1960, aux États-Unis, le Code fédéral du Commerce comprenait à peine 20.000 pages ; aujourd’hui, il dépasse les 180.000 pages.

Inutile de préciser que l’Union européenne fait encore mieux (si l’on peut dire) : depuis cinq ans, elle aura promulgué deux fois plus de directives et de règlements que les États-Unis eux-mêmes.

Et le résultat, QD, quel est-il ?...

Le résultat, depuis une grosse dizaine d’années, c’est une contestation croissante - et double : celle des milieux économiques, toujours prompts à crier à la concurrence déloyale, et celle des citoyens, vigilants témoins du coût du panier de la ménagère.

Et vous noterez que plus personne se risque aujourd’hui à évoquer une quelconque mondialisation heureuse. Le confinement de la COVID-19 est passé par là.

Cependant, la (relative) nouveauté, c’est que des partis politiques, généralement (mais pas exclusivement) populistes, se sont joints à ces mouvements de protestation contre la Bureaucratie, notion au demeurant assez élastique.

Vous pensez à qui ?...

Évidemment d’abord au Président de l’Argentine, Javier MILEI, l’homme à la tronçonneuse, terreur des ronds-de-cuir, mais aussi aux partis d’extrême-droite en Allemagne et en Italie, pour qui le mot Bureaucratie est synonyme de BRUXELLES.

C’est en fait assez injuste, dans la mesure où toutes les décisions incriminées ont été approuvées préalablement par les ministres de l’ensemble des États de l’UE, et que, s’il faut dénoncer un travers, c’est bien celui des autorités de ces pays, très portés sur le rajout de clauses nationales aux textes européens.

Le champion incontesté de cette surréglementation nationale n’est autre que – qui l’eût cru – la France.

Mais dans le déclenchement à grande échelle de cette vague à la fois protectionniste et simplificatrice à l’extrême, c’est un autre acteur qui tient le devant de la scène.

On imagine qu’il s’agit de Donald TRUMP…

C’est exact. On ne peut encore mesurer l’étendue des dégâts que l’approche aussi brutale que brouillonne de la simplification administrative que cornaque le président américain est susceptible de provoquer ; mais on suivra l’évolution de la Bourse de NEW-YORK et celle du coût de la vie pour les citoyens étatsuniens, et on attendra, dans un peu moins de deux ans, le résultat des élections législatives américaines à mi-mandat de M. TRUMP.

Mais, au-delà du chaos propagé largement au-delà de ses frontières par celui-ci, on peut valablement exprimer une autre forme de regret.

Mais que regrettez-vous donc ?

C’est que, dans sa course folle vers chaque jour davantage de radicalité, Donald TRUMP nuise à l’action infiniment plus discrète de tous ces responsables politiques en Europe et au Canada qui s’attachent avec bon sens et opiniâtreté à réviser les lois, à épouiller les incohérences et les doublons législatifs, à faciliter la compréhension et l’accès de l’ensemble des citoyens à l’acquis démocratique.

Et, pour ce combat-là, nul besoin d’une tronçonneuse ni de l’aval du Kremlin.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.