Aujourd’hui, vous nous emmenez faire un tour de la Russie, c’est ça ?
Oui, mais un tour par l’extérieur. On avait déjà eu l’occasion ici d’effleurer ce sujet, quelques semaines après le début de l’invasion russe de l’Ukraine ; or, cette guerre, par la constante escalade militaire qu’elle a déclenchée, est en train de modifier fondamentalement la perception politique de la Russie par les anciennes républiques soviétiques du Caucase.
Prenons pour commencer le Kazakhstan : en janvier, le gouvernement de cet immense et désertique pays avait fait appel à l’armée russe pour l’aider à mettre fin aux manifestations et au soulèvement populaire qui se profilait. Cet appel au secours est prévu à l’Article 4 du Traité de l’Organisation de Sécurité collective, un instrument mis au point par MOSCOU il y a vingt-cinq ans, afin de garder un œil vigilant sur ses voisins immédiats. On pouvait penser que le Kazakhstan était en passe de s’aligner sur la servilité de la Biélorussie à l’égard du Kremlin. Il n’en fut rien. Le président kazakh Kassym-Jonart TOKAYEV refuse de soutenir la guerre en Ukraine et dénonce les pressions de MOSCOU pour le faire changer d’avis. Car il sait que les nationalistes russes ambitionnent d’annexer les contrées russophones du nord de son pays, et, à cet égard, le sort de l’Ukraine peut en effet donner à réfléchir.
Le pays suivant est…
…plus au sud, le Tadjikistan, dont le Président RAHMON ne se prive pas de critiquer ce qu’il appelle le mépris de POUTINE à l’égard des pays ex-soviétiques d’Asie centrale.
La crainte est réelle chez les Tadjiks, comme chez leurs voisins, de voir les centaines de milliers de migrants, originaires de chez eux et travaillant en Russie, mobilisés de force pour aller se battre en Ukraine. Il est vrai que chacun là-bas se souvient d’un précédent sanglant, lorsqu’en 1916, le gouvernement tsariste avait incorporé de force dans les armées impériales tous ceux, dans le Caucase, en âge de porter un fusil. Cet épisode, méconnu ailleurs, de la Guerre de 1914-1918 s’était soldé par la mort de près de 300.000 Kazakhs, Tadjiks, Kyrghiz, Ouzbeks, et autres Turkmènes.
La tournée continue…
…et maintenant, nous arrivons au vieux conflit, qui s’embrase périodiquement sans qu’on sache trop pourquoi, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Ce dernier ayant, le mois dernier, lancé une attaque-éclair contre le premier cité, les Arméniens ont réclamé l’aide de la troupe russe au titre, toujours, de l’Article 4. Mais, fait sans précédent, les Russes - sans doute trop occupés ailleurs – n’ont pas donné suite à cette demande.
Principalement en raison de la querelle entre Arméniens et Azerbaïdjanais au sujet de la possession de la région du Haut-Karabakh, ces deux pays ont connu une succession d’affrontements armés depuis trente ans.
Ce qu’on notera ces jours-ci, c’est que des efforts diplomatiques intenses sont en cours pour régler définitivement la question – et que MOSCOU en est absent : les pourparlers sont en effet menés à l’initiative des États-Unis et de l’Union européenne.
Où nous emmenez-vous maintenant ?
Beaucoup plus près de nous, sur les bords de la Mer noire, en Géorgie, et aussi en Moldavie, entre l’Ukraine et la Roumanie. Ces deux pays ont vu leurs territoires respectifs amputés, par la force militaire de la Russie, de régions théoriquement pro-russes : l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud pour la Géorgie, la Transnistrie pour la Moldavie. Dans leur cas, c’est encore plus clair : la Moldavie est officiellement candidate à l’Union européenne, et la Géorgie s’y verrait bien aussi.
C’est que l’exemple des trois États baltes : Estonie, Lettonie, Lituanie - jadis républiques soviétiques, aujourd’hui membres de plein droit de l’Union européenne et de l’OTAN – cet exemple, pour beaucoup dans le pourtour géographique de la Russie, constitue la voie – la seule voie – à suivre.
C’est précisément cette tendance que la Russie tente de freiner par le déclenchement de sa calamiteuse guerre en Ukraine – avec un résultat exactement et durablement inverse.
Chronique réalisée par Laurence AUBRON.