Aux portes de l'UE

La Transnistrie – bientôt réintégrée à la Moldavie après trois décennies de l’occupation russe de fait ?

Photo de Alex Houque sur Unsplash La Transnistrie – bientôt réintégrée à la Moldavie après trois décennies de l’occupation russe de fait ?
Photo de Alex Houque sur Unsplash

Chaque semaine, Lyudmyla Tautiyeva nous propose un aperçu de ce qu'il se passe aux frontières de l'Union européenne, traitant de sujets divers tels que la gouvernance, l’entreprenariat, ou encore l'innovation.

La semaine dernière, le vice-Premier ministre moldave chargé de la Réintégration, Valeriu Cîver, a fait une déclaration inattendue concernant la possible réintégration de la région séparatiste prorusse de Transnistrie. De quoi s’agit-il exactement ?

Le vice-premier ministre Civer a annoncé que le gouvernement moldave travaille avec l’Union européenne et les États-Unis sur un plan de réintégration de la Transnistrie sous contrôle effectif de Chișinău. C’est une annonce majeure : jusqu’ici, le dossier transnistrien était largement en arrière-plan dans la politique moldave. Cette fois, il est question d’une véritable feuille de route, élaborée avec les partenaires internationaux, pour rétablir l’autorité moldave sur ce territoire après plus de trente ans de statu quo. Le ministre n’a pas dévoilé les détails du plan en disant qu’il contient des éléments sensibles nécessitant de la prudence et du temps.

Justement, remettons les choses dans leur contexte : qu’est-ce que la Transnistrie aujourd’hui ?

La Transnistrie est une entité séparatiste qui occupe la majeure partie de la rive gauche du Dniestr. Elle s’est proclamée indépendante en 1992 après un conflit entre les forces séparatistes — soutenues par l’armée russe — et l’armée moldave. Depuis, la Russie y stationne environ 1 500 soldats, sous couvert de « maintien de la paix », alors qu’elle s’était engagée en 1999 à les retirer — engagement jamais respecté (et pas le seul d’ailleurs). Cette présence militaire restait un levier politique important pour Moscou.

La région compte environ 400 000 habitants, dont une grande partie possède plusieurs passeports : au moins 200 000 auraient la nationalité russe. Sur le plan juridique, la Transnistrie est une entité territoriale autonome dotée d’un statut spécial au sein de la Moldavie. Sur le plan international, aucun pays ne reconnaît l’indépendance de la Transnistrie. Même la Russie ne l’a jamais reconnue, malgré le référendum de 2006 en Transnistrie où 98 % des votants se sont prononcés pour l’indépendance et une future intégration à la Russie.

Alors, pourquoi parle-t-on aujourd’hui de réintégration après plus de trois décennies de gel du conflit ?

Deux éléments majeurs ont basculé le statu quo.

D’abord, l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La Transnistrie se retrouve aujourd’hui bien derrière les lignes de défense ukrainiennes. La Russie y conserve une influence politique, mais elle a nettement moins de marge de manœuvre qu’avant 2022.

Ensuite, la crise énergétique de l’hiver précédente qui remise en question la capacité de la région de survivre les prochains hivers. En janvier 2025, après l’arrêt du transit du gaz russe par l’Ukraine, la région a subi jusqu’à huit heures de coupures d’électricité par jour, un mois entier, ainsi que des pénuries de chauffage et de gaz. Soutenus par le Kremlin, les dirigeants de Tiraspol — la capitale de la Transnistrie — ont décliné les offres de la Moldavie de trouver d’autres sources d’approvisionnement. La solution a été finalement trouvée avec l’aide de Chisinau qui a arrangé que la région puisse acheter le gaz auprès d’une entreprise hongroise. Cette crise a montré que le statu quo pour la Transnistrie n’était plus tenable.

Enfin, même si la question de la réintégration de la Transnistrie n’était pas une priorité pour de nombreux Moldaves, le nouveau gouvernement moldave arrivé cet automne a montré la volonté politique d’exploiter cette fenêtre d’opportunité aux bénéfices de l’intégration de la Moldavie.

Si la réintégration devient réellement possible, que représenterait-elle pour la Moldavie, et quels risques comporte-t-elle ?

Sur le plan stratégique, elle est essentielle : l’UE attend que les litiges territoriaux soient réglés avant l’adhésion, même si cela n’a pas empêché l’ouverture des négociations en 2022.

La reprise du contrôle de Chisinau sur la Transnistrie est également une question de la sécurité régionale. La Russie n’hésitera pas de continuer d’utiliser la Transnistrie pour déstabiliser la Moldavie mais aussi pour nuire à la sécurité et la stabilité de l’UE si la Transnistrie reste dans ce statu quo.

Mais la réintégration comporte également des risques politiques importants. La population de la Transnistrie reste largement prorusse et méfiante envers Chișinău. Leur intégration pourrait modifier l’équilibre des forces politiques et renforcer les partis prorusses en Moldavie freinant le rapprochement avec Bruxelles.

Un entretien réalisé par Laurent Pététin.